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Acte notarié & dettes successorales : le fisc peut contester ce qui n'est "que" déclaré !

  • Rodolphe Rous
  • 11 avr.
  • 4 min de lecture




On a souvent le réflexe, bien légitime, de considérer l'acte notarié comme une forteresse juridique quasi inexpugnable, notamment face à l'administration fiscale. La fameuse force probante de l'acte authentique ! Pourtant, une décision récente de la Cour de cassation, datée du 12 mars 2025, vient nous rappeler (avec une certaine fraîcheur !) que cette protection a ses limites, surtout quand l'acte se contente de rapporter les dires des parties. Un point crucial en matière de passif successoral.



Le principe : la protection des dettes "authentiques" (LPF, art. L. 20)


Petit rappel : l'article L. 20, alinéa 4, du Livre des procédures fiscales (LPF) est notre allié. Il prévoit qu'une dette existante au jour du décès, si elle est constatée par un acte authentique (donc, typiquement, notarié), ne peut pas être écartée par l'administration fiscale pour le calcul des droits de succession... sauf si le Fisc obtient une décision de justice confirmant que la dette n'existe pas. En clair, l'administration ne peut pas, de sa propre initiative, balayer une dette "bétonnée" par un acte notarié. Ça, c'est la règle générale, plutôt rassurante.



La nuance de la Cour de cassation : déclaré n'est pas constaté !


C'est ici que notre arrêt du 12 mars 2025 jette un pavé dans la mare. La Cour de cassation opère une distinction subtile mais fondamentale :


  1. Le top : la dette constatée par le notaire : Si l'acte authentique établit la dette dans le cadre des vérifications et constatations personnelles de l'officier public (le notaire a vu, vérifié, attesté lui-même certains faits matériels fondant la dette), alors oui, la protection de l'article L. 20 joue à plein. L'acte a une force probante renforcée.


  2. Le bof : la dette déclarée par les parties : MAIS, si l'acte notarié ne fait que relater les déclarations des parties concernant l'existence ou l'origine d'une dette, sans que le notaire ait pu ou dû en vérifier personnellement la matérialité... alors attention ! La Cour juge que cette dette ne bénéficie pas de la protection spéciale de l'article L. 20.


Conséquence pratique : Dans ce second cas, l'administration fiscale peut remettre en cause la dette et refuser sa déduction du passif successoral sans avoir besoin de saisir le juge au préalable, à condition bien sûr qu'elle apporte des éléments prouvant l'inexactitude des déclarations rapportées dans l'acte.


L'affaire illustrative : le quasi-usufruit sur un bien commun déclaré propre


Dans l'affaire jugée, tout tournait autour d'une convention de quasi-usufruit signée devant notaire. L'acte mentionnait une dette de restitution (passif successoral) de 2 millions d'euros, correspondant au prix de vente d'un bien déclaré comme étant un "bien propre" du défunt. Problème : le Fisc a prouvé qu'il s'agissait en réalité d'un "bien commun". Logiquement, la dette de restitution ne pouvait donc porter que sur la moitié du prix (la part du défunt).


L'héritière s'arc-boutait sur l'acte notarié pour déduire les 2 millions. L'administration a dit non, réduisant la dette déductible à 1 million, et ce, sans passer par la case tribunal. La Cour de cassation valide : puisque l'origine "propre" des fonds n'était qu'une déclaration des parties dans l'acte, non vérifiée par le notaire, l'administration pouvait l'écarter directement en prouvant le caractère commun du bien.



Mise en perspective et leçons à tirer pour notre pratique


Cet arrêt, bien qu'il puisse sembler technique, est riche d'enseignements pour nous, avocats, et pour nos clients :


  1. La force probante n'est pas magique : Il confirme que la force probante attachée à l'acte authentique (article 1371 du Code civil) concerne avant tout les faits que le notaire a personnellement accomplis ou constatés (date, présence des parties, signatures...). Pour le contenu des déclarations des parties, la force probante est moindre, l'acte vaut surtout comme preuve que ces déclarations ont été faites, pas nécessairement qu'elles sont vraies. Ce n'est pas nouveau en soi, mais l'arrêt en tire une conséquence procédurale forte en matière fiscale (dispense d'action en justice pour le Fisc).


  2. Le Fisc gagne en marge de manœuvre : Clairement, cette solution facilite le travail de l'administration en lui permettant de redresser plus facilement des passifs successoraux jugés "gonflés" sur la base de simples déclarations dans un acte notarié, dès lors qu'elle dispose d'éléments contraires.


  3. Vigilance accrue sur la preuve des dettes : C'est LA leçon pour nous. Lors de la rédaction d'actes constatant des dettes (reconnaissance de dette, convention de quasi-usufruit, etc.), il ne suffit plus de les mentionner. Il faut bétonner !

    • Annexer les preuves : Joindre à l'acte les justificatifs de l'origine des fonds, de la réalité de la dette.

    • Détailler les constatations du notaire : Dans la mesure du possible, faire en sorte que l'acte ne se contente pas de relater, mais constate des éléments matériels après vérification par l'officier public.

    • Anticiper la contestation : Se demander systématiquement : "Comment prouver cette dette si le Fisc la remet en cause ?"


En conclusion


Si l'acte notarié reste un outil juridique essentiel et puissant, cet arrêt nous invite à ne pas nous reposer uniquement sur sa "sacralité". Pour les dettes successorales, une simple mention déclarative ne suffira pas à décourager un contrôle fiscal approfondi. La clé ? Anticiper, documenter, et prouver au-delà de la simple affirmation reprise dans l'acte. Un travail de préparation renforcé en amont peut éviter bien des déconvenues fiscales en aval !

N'hésitez pas à partager vos réflexions ou expériences sur ce sujet en commentaire !

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