Classes de parties affectées : premiers retours et défis pratiques de la réforme de 2021
- Rodolphe Rous
- 18 avr.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 4 jours

La réforme du droit des entreprises en difficulté, issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021 transposant la directive européenne "Restructuring and Insolvency", a marqué une étape significative dans la modernisation de nos procédures collectives. Au cœur de cette réforme figure l'instauration, ou plutôt la généralisation et la refonte, des classes de parties affectées (qui remplacent les anciens comités de créanciers). Près de quatre ans après son entrée en vigueur, quel premier bilan pratique peut-on tirer de ce mécanisme inspiré des pratiques internationales ? Entre promesses d'efficacité accrue et complexité nouvelle, l'heure est aux premiers retours d'expérience.
Rappel du mécanisme : de quoi parle-t-on ?
Avant 2021, les comités de créanciers étaient souvent critiqués pour leur rigidité. La réforme vise à dépasser la simple catégorie juridique du créancier pour réunir, au sein de différentes classes, ceux qui partagent une communauté d'intérêt économique suffisante, conformément à l'article L. 626-30 du Code de commerce.
Ces classes sont obligatoires dans les entreprises atteignant certains seuils (précisés à l'article L. 626-29 du Code de commerce pour la sauvegarde, applicable au redressement via L. 631-19) ou sur décision du juge pour les entreprises plus petites. Leur rôle ? Voter sur le projet de plan de sauvegarde ou de redressement. L'objectif affiché est clair : favoriser l'adoption de plans économiquement viables en s'assurant du soutien de catégories cohérentes de parties prenantes.
La constitution des classes : un art délicat
La théorie est séduisante, mais la pratique révèle ses subtilités. Comment définir cette fameuse "communauté d'intérêt économique" mentionnée à l'article L. 626-30 ?
Les critères : Le code donne des lignes directrices (créanciers titulaires de sûretés réelles, autres créanciers, capital...), mais insiste sur la nécessité de refléter la réalité économique. Les modalités de proposition et de regroupement sont précisées par la partie réglementaire (voir notamment art. R. 626-51 et suivants).
Les défis pratiques :
Regrouper des créanciers hétérogènes reste un casse-tête.
La place des créanciers publics (Trésor, URSSAF...) doit être gérée au sein des classes selon leurs droits et sûretés éventuelles.
La proposition de composition par l'administrateur judiciaire est une phase cruciale, potentiellement source de contestations rapides devant le juge-commissaire.
Le vote et l'information : vers plus de transparence ?
Une fois les classes constituées, elles doivent voter de manière éclairée. La qualité de l'information fournie est essentielle (détaillée par l'article R. 626-56).
Le vote obéit ensuite aux règles de majorité de l'article L. 626-30-2 du Code de commerce (majorité des deux tiers du montant des créances détenues par les membres ayant exprimé un vote). L'enjeu est d'obtenir un vote positif dans chaque classe pour une adoption "simple" du plan, comme prévu par l'article L. 626-31.
Points de friction et contentieux émergents
Sans surprise, les difficultés pratiques génèrent des points de friction :
Contestation de la composition des classes : C'est un foyer de contentieux majeur. Une partie affectée peut contester sa classe d'appartenance ou le traitement réservé à sa créance.
Valorisation de l'entreprise : Cette question devient centrale, surtout en cas de recours au plan forcé interclasses (infra). Elle conditionne le respect du test du "meilleur intérêt des créanciers" (chaque créancier ne doit pas recevoir moins que ce qu'il recevrait en liquidation ou en cas de meilleure solution alternative) et de la "règle de priorité absolue".
Le 'cross-class cram-down' : révolution ou mirage ?
C'est l'innovation majeure de l'article L. 626-32 du Code de commerce : la possibilité pour le tribunal d'imposer un plan à des classes dissidentes. Les conditions sont strictes :
Le plan doit avoir été approuvé par au moins une classe "dans la monnaie" (qui recevrait un paiement en liquidation).
Le test du meilleur intérêt des créanciers doit être respecté pour les classes dissidentes.
La règle de la priorité absolue (ou relative, selon les options) doit être respectée : une classe dissidente doit être désintéressée avant qu'une classe de rang inférieur puisse percevoir quoi que ce soit (sauf exceptions).
Son utilisation semble encore limitée du fait de sa complexité et des analyses financières approfondies qu'elle requiert.
Perspectives : une adaptation en cours
Le bilan après près de quatre ans est nuancé. La réforme aligne la France sur les standards internationaux et offre des outils potentiellement plus efficaces. Cependant, elle a aussi introduit une complexité significative.
L'écosystème s'adapte. La clarification par la jurisprudence de points clés (critères de communauté d'intérêt, modalités de valorisation, application concrète du L. 626-32) sera essentielle. La montée en compétence technique et financière des acteurs est également un prérequis.
Le véritable test sera de mesurer, à terme, si cette réforme complexe améliore effectivement le taux de réussite des restructurations. L'histoire est encore en train de s'écrire.
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