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Comment le fisc vous traque désormais sur les réseaux sociaux

Rodolphe Rous



Le contexte : du like à la mise en examen ?


Vous pensiez que les seuls dangers sur vos réseaux sociaux étaient les trolls et les vidéos de chat trop mignonnes ? Détrompez-vous : depuis le 1er janvier 2025, le fisc s’est vu octroyer de nouveaux super-pouvoirs pour traquer les fraudeurs… directement sur Facebook, Instagram, TikTok ou encore LinkedIn. Le Décret n° 2024-1274 du 31 décembre 2024 est venu préciser et étendre le cadre légal en la matière.


Autrement dit, si vous postez un selfie sur un yacht au large de Saint-Barth alors que vous êtes censé(e) déclarer zéro euro de revenus, attendez-vous à voir débarquer un contrôleur des impôts en train de faire défiler vos stories.


Rappel du précédent décret : l’expérimentation de 2021


Avant la publication de ce décret, un précédent décret de 2021 autorisait déjà – à titre expérimental pour trois ans – l’aspiration par l’administration fiscale des données « dont l’accès ne nécessite ni saisie d’un mot de passe ni inscription sur le site en cause » (Article 1 du décret de 2021).


Pour faire simple, le fisc pouvait alors analyser :

  • Les annonces publiques sur Leboncoin, Airbnb ou autres plateformes de vente.

  • Les profils « ouverts à tous » sur certains réseaux sociaux (mais dans la limite du vraiment public).


Cette expérimentation était jugée trop restreinte : c’était un peu comme vouloir chasser le Pokemon légendaire avec un smartphone éteint. Résultat, la loi de finances pour 2024 a prolongé le test pour deux ans, tout en étendant les pouvoirs d’investigation.


Les nouveautés du décret n° 2024-1274 du 31 décembre 2024


Création de comptes par le fisc (Article 2)


La grande nouveauté se trouve à l'article 2, qui autorise désormais l’administration fiscale (et les douanes, tant qu’on y est) à créer un compte pour accéder aux plateformes.

Ce qui change :
Avant : impossible pour le fisc de se créer un compte pour visionner, par exemple, vos stories réservées à vos « amis » ou abonnés.
Maintenant : l’administration peut s’abonner à votre profil, mais en restant parfaitement transparente. Il est formellement interdit (Article 3) de se cacher derrière un faux nom ou de se faire passer pour votre meilleur ami.

En clair, si vous voyez surgir « @FiscOfficiel » dans vos abonnés, ne criez pas au complot : c’est prévu par la loi ! Libre à vous d’accepter ou de refuser. Mais si vous acceptez, vous acceptez aussi que vos photos de vacances à Bali deviennent un indice supplémentaire pour Bercy…


Elargissement du périmètre des données collectées (Article 4)


Le nouveau décret, dans son Article 4, précise que le fisc peut dorénavant collecter :

  • Les informations publiées par la personne elle-même (textes, photos, vidéos).

  • Les métadonnées, comme la date, l’heure ou la géolocalisation.

Ce qui change :
Avant : seules les données strictement publiques et sans authentification étaient concernées.
Maintenant : toutes les données que vous rendez accessibles à vos « amis » ou à vos abonnés (si vous avez accepté le compte officiel du fisc), et les métadonnées correspondantes peuvent être aspirées.

Attention toutefois, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) veille au grain : selon les termes du décret, « tout traitement d’information fournie par un tiers (par exemple lorsqu’une photo est “taguée” par ce tiers) est exclu ».


Extension des motifs de recherche (Article 5)


Toujours dans nouveau décret, l’Article 5 ajoute de nouvelles infractions fiscales ciblées :

Ce qui change :
Avant : le fisc visait principalement les activités occultes et les irrégularités liées à la domiciliation fiscale (ex. on prétend vivre en Belgique alors qu’on poste à foison depuis un café parisien).
Maintenant : on élargit la chasse aux « minoration ou dissimulation de recettes ». Par exemple, si vous êtes influenceur ou commerçant et que vos posts témoignent d’une activité bien plus florissante que vos déclarations, vous risquez un contrôle.

Les garanties et limites du dispositif


1/ Identification obligatoire

L’administration fiscale ne peut pas (Article 3) :

  • Créer de faux profils (exit le contrôleur qui se fait passer pour votre cousin Julien).

  • Entrer dans des groupes ou conversations privées sans y être invité (et clairement identifié).


2/Des données toujours « manifestement publiques »

Seules les données « manifestement rendues publiques » sont concernées (Article 1). Autrement dit, tout ce qui est soumis à un accès restreint demeure hors champ tant que vous n’autorisez pas le compte officiel du fisc à y accéder.


3/ Contrôle par la Cnil et bilan en 2026

La Cnil a émis un avis en novembre 2024, rappelant que les garanties « prévues par la loi » sont jugées suffisantes. Néanmoins, un rapport est attendu en 2026, afin d’évaluer l’efficacité et la proportionnalité de ce dispositif.


Faut-il paniquer ou en rire ?


Disons-le franchement : si vous déclarez correctement vos revenus et que vous ne tentez pas de démonter le Fisc avec un compte Instagram dédié à vos Ferrari, vous n’avez pas de raison de craindre l’arrivée imminente d’un agent de Bercy en trench-coat.


En revanche, si vous jonglez entre plusieurs résidences fiscales et que vos followers raffolent de vos photos en jets privés, la prudence est de mise… ou la discrétion, à défaut d’honnêteté.


Petit conseil pratique : avant d’accepter « @FiscOfficiel » dans vos abonnés, demandez-vous si cela en vaut vraiment la peine !


Le Décret n° 2024-1274 du 31 décembre 2024 (entré en vigueur le 1er janvier 2025) acte une nouvelle ère dans la lutte contre la fraude fiscale, en ouvrant à l’administration des possibilités d’investigation plus larges sur les réseaux sociaux. Il vient compléter l’expérimentation lancée en 2021, tout en élargissant le champ d’action (création de comptes, accès aux métadonnées, contrôle de nouvelles infractions).


Du côté du fisc, on assure que ces prérogatives sont « très ciblées » et entourées de garde-fous. Du côté de la Cnil, on surveille que la frontière entre lutte contre la fraude et protection de la vie privée ne soit pas franchie.


Quant à nous, simples utilisateurs, restons lucides. Les réseaux sociaux ne sont plus un espace de totale liberté sans conséquence : entre l’éventuel faux ami qui scrute vos photos de brunch et « @FiscOfficiel » qui traque vos incohérences fiscales, la discrétion est de mise.


Et si vraiment vous tenez à afficher votre vie de rêve, rappelez-vous le vieux mantra : « Pour vivre heureux, vivons cachés... ou en règle ! »


Source : Décret n° 2024-1274 du 31 décembre 2024 modifiant le décret n° 2021-148 du 11 février 2021 portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne :https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000050935013

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