
La Convention fiscale conclue entre la République française et la République fédérale d’Allemagne, en vue d’éviter les doubles impositions et d’établir des règles d’assistance administrative et juridique réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi qu’en matière de contributions des patentes et de contributions foncières, représente une pierre angulaire des relations fiscales entre les deux pays.
Régulièrement complétée et modifiée par divers avenants (1969, 1989, 2001, 2015) et accords amiables, la Convention franco-allemande (ci-après la « Convention ») demeure, aujourd’hui encore, au cœur des enjeux de fiscalité internationale pour les contribuables, les entreprises, les cabinets d’avocats et les administrations fiscales.
Elle établit un socle commun de définitions et de principes destinés à :
Éviter la double imposition, c’est-à-dire empêcher qu’un même revenu ou qu’une même fortune soit imposé(e) deux fois par la France et par l’Allemagne ;
Réglementer la répartition du pouvoir d’imposition selon la nature des revenus (dividendes, intérêts, redevances, gains en capital, traitements et salaires, etc.) ;
Organiser des mécanismes de résolution des différends, notamment via la procédure amiable ou l’arbitrage ;
Lutter contre l’évasion et la fraude fiscales grâce à un échange plus ou moins étendu de renseignements et une assistance réciproque en matière de recouvrement ;
Fixer des règles spécifiques concernant les travailleurs frontaliers et les entreprises opérant dans l’autre État.
Avec l’intégration européenne, la mobilité accrue des personnes physiques (étudiants, salariés, retraités), et la multiplication des échanges économiques (filiales, joint-ventures, acquisitions transfrontalières), la bonne maîtrise des stipulations de la Convention se révèle cruciale. Que l’on soit particulier, dirigeant d’entreprise ou avocat fiscaliste, il convient de saisir les subtilités de ce texte qui, en délimitant les compétences d’imposition de la France et de l’Allemagne, influence concrètement la charge fiscale finale de chaque contribuable.
Le présent commentaire entend proposer :
Une présentation générale de la Convention (Champ d’application, principes directeurs) ;
Une étude détaillée article par article (avec regroupement thématique pour une meilleure lisibilité) ;
Une mise en perspective pratique, à travers quelques exemples concrets et un rappel des procédures amiables et d’arbitrage.
Nous prendrons soin de maintenir un style clair, rigoureux mais accessible, pour que chacun puisse, à l’issue de la lecture, disposer de clés de compréhension utiles et opérationnelles.
I. Présentation générale de la Convention
A. Contexte et historique
Contexte de la conclusion de la Convention (1959)
La coopération fiscale franco-allemande, initiée dans l’après-guerre, est symbolique de la volonté d’apaisement et de rapprochement entre les deux pays.
Le texte initial, signé le 21 juillet 1959 à Paris, fait suite à la Convention du 9 novembre 1934, dont il abroge les stipulations pour la remplacer par un cadre plus moderne adapté aux enjeux d’alors.
Le but premier était d’éviter que des revenus transnationaux fassent l’objet d’une imposition multiple, ce qui aurait freiné la relance économique et les investissements transfrontaliers.
Les multiples avenants
Avenant du 9 juin 1969 : Il révise notamment les règles d’imposition des sociétés mères et filiales (dividendes) et traite de questions d’établissement stable.
Avenant du 28 septembre 1989 : Il clarifie l’imposition de certaines catégories de revenus, modernise le mécanisme d’élimination de la double imposition et accroît la coordination administrative.
Avenant du 20 décembre 2001 : Il introduit des précisions sur l’application de la retenue à la source, le régime des sociétés mères et filiales, et sur certaines dispositions touchant les valeurs mobilières.
Avenant du 31 mars 2015 : Il introduit, entre autres, l’article 13a et 13c, modifie les règles relatives à l’échange de renseignements, à l’assistance au recouvrement, et met à jour le champ d’application de plusieurs articles (dividendes, gains en capital, travailleurs frontaliers, etc.).
Objet et portée généraleLa Convention vise trois objectifs fondamentaux :
Éviter les doubles impositions : en attribuant à chaque État une compétence d’imposition pour chaque catégorie de revenus et de fortune, la Convention répartit la base taxable.
Lutter contre l’évasion fiscale : via l’échange de renseignements et l’assistance mutuelle.
Stabiliser l’environnement juridique pour les acteurs économiques afin de favoriser les investissements, la mobilité et la coopération économique.
B. Architecture de la Convention
La Convention comprend :
31 articles organisant les règles de base (définitions, catégories de revenus, fortune, mécanismes d’élimination de la double imposition, non-discrimination, assistance).
Un Protocole qui fait partie intégrante du traité, précisant certains points pratiques.
Un Échange de lettres daté du 21 juillet 1959, fournissant des clarifications.
Plusieurs avenants (1969, 1989, 2001, 2015), chacun disposant de ses propres dispositions d’entrée en vigueur, et intégrant ou révisant certains articles.
Cette structure montre la complexité du cadre conventionnel. Le praticien doit tenir compte de la version la plus à jour de chaque article, telle que modifiée par les avenants.
C. Principe d’élimination de la double imposition
Deux grandes méthodes sont retenues par la Convention pour éviter la double imposition :
Exemption (ou « méthode de l’exonération ») : un État renonce à imposer un revenu, laissant à l’autre État le soin de l’imposer (ou non), généralement avec effet sur la progressivité du taux (taux effectif).
Imputation (ou « crédit d’impôt ») : l’impôt payé dans l’autre État est imputé sur l’impôt dû dans l’État de résidence.
Ces méthodes sont combinées selon les types de revenus. Parfois, l’imposition relève exclusivement de l’État de résidence ou de l’État de la source, parfois il y a partage (retenue à la source plafonnée + imposition résiduelle avec crédit d’impôt).
II. Analyse détaillée des articles de la Convention
A. Champ d’application, définitions et principes directeurs (Articles 1 à 2)
1. Article 1 : Champ d’application personnel et impôts visés
Article 1(1) : Détermine les personnes concernées, à savoir les « résidents d’un État contractant ».
Un résident, au sens de la Convention, est toute personne imposable en raison de son domicile, résidence, siège de direction ou critère analogue.
Article 1(2) et suivants : Liste les impôts couverts par la Convention, notamment :
Côté français : IR (impôt sur le revenu), IS (impôt sur les sociétés), impôt de solidarité sur la fortune (ISF, désormais IFI depuis 2018, mais la Convention continue de s’appliquer mutatis mutandis), etc.
Côté allemand : Einkommensteuer, Körperschaftsteuer, Gewerbesteuer, Vermögensteuer, Grundsteuer, etc.
Pratique : Même si l’IFI (introduit en 2018) n’est pas explicitement mentionné (car la Convention parle d’impôt sur la fortune/ISF), la France considère généralement que l’IFI succède à l’ISF pour l’application des Conventions prévoyant l’imposition de la fortune. Il faudra surveiller d’éventuelles précisions administratives ou accords interprétatifs.
2. Article 2 : Définitions générales
Article 2(1) : Définitions géographiques de la France (incluant les départements d’outre-mer) et de la République fédérale d’Allemagne (loi fondamentale).
Article 2(3-4) : Définitions de « personne », « résident », « établissement stable » (ES), etc.
Notion d’« établissement stable » : cruciale, car conditionne le droit d’imposer les bénéfices d’entreprise.
Critères : « installation fixe d’affaires » (bureau, succursale, chantier dépassant 12 mois, etc.).
Article 2(8) : L’expression « autorités compétentes » désigne respectivement le ministre chargé des finances ou son représentant (France), et le ministère fédéral des Finances ou le service délégué (Allemagne).
Pratique : Vérifier systématiquement si un chantier dépasse 12 mois pour qualifier un ES. Cela peut modifier la répartition du droit d’imposer.
B. Règles d’imposition par catégories de revenus (Articles 3 à 18)
1. Revenus immobiliers (Article 3)
Article 3(1) à (5) : Les revenus provenant de biens immobiliers, y compris leurs accessoires, sont imposables dans l’État où lesdits biens sont situés.
S’applique aussi aux revenus de l’exploitation directe, de la location ou de toute autre forme d’exploitation immobilière.
Notion de « biens immobiliers » : déterminée par la loi de l’État où ils se trouvent. Navires exclus.
Incidence sur la fortune (article 19 plus loin) : La règle se recoupe pour la taxation de la fortune immobilière.
Pratique : Un résident français louant un appartement à Berlin est imposable en Allemagne au titre de ce loyer ; la France peut considérer que ces revenus sont « imposables » en Allemagne et attribuer un crédit d’impôt ou pratiquer l’exonération avec taux effectif (selon l’article 20).
2. Bénéfices des entreprises (Articles 4 et 5)
Article 4 : Bénéfices industriels et commerciaux
Principe : Les bénéfices d’une entreprise d’un État ne sont imposables que dans cet État, sauf si l’entreprise a un ES dans l’autre État, auquel cas l’autre État impose les bénéfices attribuables à l’ES.
L’article 4(3) précise le traitement des sociétés de personnes : la part de l’associé n’est imposable que dans l’État où se situe l’ES de la société de personnes, mais seulement pour la fraction des droits de cet associé.
L’article 4(2) introduit la fiction du « stand-alone principle » : l’établissement stable est traité comme une entreprise distincte pour déterminer ses bénéfices (prix de transfert internes).
Les « Mitunternehmerschaften » en droit allemand (sociétés de personnes) entrent dans ce cadre.
Article 5 : Entreprises associées
En cas de relation de dépendance (participation directe ou indirecte à la direction ou capital), si des conditions sont convenues (prix, etc.) différentes de celles entre indépendants, les bénéfices qui auraient été réalisés sans ces conditions peuvent être réintégrés dans l’État concerné.
Pratique : Les principes OCDE de pleine concurrence (transferts pricing) s’appliquent. Un avocat conseillant un groupe franco-allemand surveillera la répartition des bénéfices entre siège et ES pour éviter un redressement éventuel.
3. Transports internationaux (Article 6)
Article 6(1) : Les bénéfices de l’exploitation en trafic international de navires ou d’aéronefs ne sont imposables que dans l’État où se trouve le siège de direction effective.
Article 6(2) : Même principe pour les bénéfices de bateaux servant à la navigation intérieure.
Article 6(3) : Si le siège est à bord du navire (rare), il est réputé situé dans l’État où se trouve le port d’attache ou, à défaut, l’État de résidence de l’exploitant.
Pratique : Les compagnies aériennes et maritimes doivent justifier du lieu de direction effective. Attention à l’application de ces règles pour les pools d’exploitation (accords de partage de codes ou joint-ventures aériens/maritimes).
4. Gains en capital (Article 7)
Article 7(1) : Les gains provenant de l’aliénation de biens immobiliers sont imposables dans l’État où ces biens sont situés.
Article 7(2) : Gains provenant de l’aliénation de biens mobiliers faisant partie de l’actif d’un ES sont imposables dans l’État où cet ES est situé.
Article 7(3) : Gains sur navires/aéronefs/bateaux en trafic international : imposables dans l’État du siège de direction effective.
Article 7(4) : Les gains tirés de l’aliénation d’actions ou parts dérivant plus de 50 % de leur valeur d’actifs immobiliers situés dans l’autre État sont imposables dans cet autre État.
Article 7(6) : Clause relative aux transferts de résidence (introduite par l’avenant du 31 mars 2015). Un résident qui quitte un État après y avoir résidé cinq ans ou plus peut demeurer imposable sur la plus-value latente acquise lors de sa période de résidence (exit tax).
Pratique : Les dispositions de l’article 7(4) sont importantes pour les structurations immobilières via sociétés. La détention à travers une société peut ne plus empêcher l’imposition dans l’État de situation de l’immeuble.
5. Dividendes (Article 9)
Article 9(1) : Les dividendes payés par une société résidente d’un État à un résident de l’autre État sont imposables dans l’État de résidence du bénéficiaire effectif.
Article 9(2) : L’État de la source peut toutefois prélever une retenue limitée à 15 % du montant brut des dividendes.
Article 9(3) : Participation d’au moins 10 % : exonération en France des dividendes versés à la société mère résidente d’Allemagne, et vice versa (sous certaines conditions, avenants successifs).
Article 9(4) : Mécanisme de remboursement de précompte (auparavant) pour le bénéficiaire allemand, désormais caduc ou remplacé par la notion de crédit d’impôt en matière de retenue à la source.
Article 9(9) : Les revenus qualifiés de dividendes mais déductibles (ex. certains titres hybrides allemands) sont imposables dans l’État de la source sans limitation de taux.
Pratique : Pour les groupes transfrontaliers, l’essentiel est de vérifier si la participation permet de bénéficier du taux réduit ou de l’exonération de retenue (5 % ou 0 %). L’avenant du 20 décembre 2001 et celui de 2015 ont clarifié plusieurs points, notamment l’exclusion des distributions issues de véhicules de placement immobilier (article 9(10)).
6. Intérêts (Article 10)
Article 10(1) : En principe, les intérêts (obligations, prêts, etc.) ne sont imposables que dans l’État du bénéficiaire effectif (État de résidence).
Article 10(2) : Exception si le bénéficiaire possède un ES dans l’autre État et la créance fait partie de l’actif de cet ES (alors imposable dans l’État de situation de l’ES).
Pas de clause explicite autorisant un prélèvement à la source dans l’article 10 lui-même. La législation interne peut prévoir un prélèvement, mais la Convention prohibe ou réduit souvent ce dernier (les avenants ont confirmé que le taux de WHT sur intérêts doit être nul ou très réduit).
Pratique : Depuis l’avenant du 31 mars 2015, les intérêts de source française versés à un résident d’Allemagne sont souvent exonérés en France, sous réserve de formulaires (5002, etc.).
7. Rémunérations de dirigeants (Article 11)
Article 11(1) : Les tantièmes et jetons de présence alloués aux membres du conseil d’administration ou de surveillance sont imposables dans l’État de résidence du bénéficiaire.
Article 11(2) : Mais l’État de la source peut prélever une retenue à la source.
Article 11(3) : Les autres rémunérations éventuelles (salaire de dirigeant technique, par exemple) relèvent de l’article 12 ou 13.
Pratique : Nécessité de distinguer ce qui relève strictement de la fonction d’administrateur (tantièmes) et ce qui est un travail dépendant ou une profession libérale.
8. Professions libérales et autres revenus non commerciaux (Article 12)
Article 12(1) : Les revenus d’une profession libérale ne sont imposables que dans l’État où s’exerce l’activité personnelle (sous réserve d’une « installation permanente »).
Article 12(3) : Renvoi à l’article 4(4) pour l’assimilation à un ES.
Pratique : Un avocat ou un architecte français exerçant ponctuellement en Allemagne sans y avoir un bureau permanent n’y sera pas imposable. Mais s’il dispose d’un bureau à Munich, alors l’article 12 permet à l’Allemagne d’imposer la fraction de revenus qui y sont générés.
9. Traitements et salaires (Article 13) et dispositions particulières
Article 13(1) : Les revenus provenant d’un travail salarié sont imposables dans l’État où s’exerce l’activité.
Article 13(4) : Exception « 183 jours » (missions temporaires).
Article 13(5) : Régime des frontaliers : seuls imposables dans l’État de résidence, sous réserve de résider et travailler dans la zone frontalière définie.
L’avenant du 31 mars 2015 a introduit l’article 13a qui organise une compensation financière entre États pour les frontaliers (1,5 % de la masse salariale frontalière).
Article 13(6) : Salariés intérimaires : imposables dans l’État d’exercice et l’État de résidence, avec mécanisme d’élimination de la double imposition.
Article 13(7) : Inclut dans « travail dépendant » les fonctions de direction ou de gérance exercées dans une société soumise à l’IS.
Article 13(8) : Les pensions et rentes privées sont imposables dans l’État de résidence (modifiées par l’avenant de 2015, voir article 13c sur la compensation relative aux pensions de sécurité sociale).
Pratique : Le régime des travailleurs frontaliers est très sensible. Les avocats fiscalistes s’attachent à vérifier le dépassement éventuel de la limite (45 jours hors zone, etc.). Par ailleurs, une attention particulière est requise pour les personnels intérimaires afin d’éviter une double imposition mal gérée.
10. Artistes, sportifs, mannequins (Article 13b)
Introduit par l’avenant du 31 mars 2015 (remplaçant d’anciennes clauses).
Les revenus des activités d’artistes, sportifs ou mannequins sont imposables dans l’État d’exercice, même si le bénéficiaire est résident de l’autre État.
Clause anti-abus : si la rémunération est payée non pas directement à l’artiste mais à une autre entité, l’article 13b(2) autorise tout de même l’imposition dans l’État de représentation.
Exception : si le séjour est financé majoritairement par des fonds publics de l’autre État, l’imposition revient alors uniquement à l’État de résidence.
Pratique : Ceci s’aligne sur les principes habituels de l’OCDE pour les artistes et sportifs, mais la mention des mannequins est plus spécifique et doit être soulignée.
11. Traitements et pensions publics (Article 14)
Les rémunérations publiques (traitements, salaires, pensions) versées par un État sont imposables dans cet État.
Exception : si le bénéficiaire est résident de l’autre État et n’a pas la nationalité de l’État payeur, alors l’imposition revient à l’État de résidence.
Distinction activité commerciale et non commerciale : salaires payés par un établissement public à caractère industriel et commercial peuvent relever de l’article 13 s’il n’y a pas d’activité strictement administrative.
Pratique : Cette clause ressemble à la règle standard en matière de rémunération publique, souvent source de litiges pour les bi-nationaux.
12. Redevances (Article 15)
Redevances (droits d’auteur, licences, brevets, etc.) : imposables uniquement dans l’État du bénéficiaire effectif.
Exception : si elles sont attribuées à un ES, c’est l’article 4 (bénéfices) qui s’applique.
Les paiements variables pour l’exploitation de mines ne sont pas des redevances (ils relèvent de l’article 3 ou de l’article 4 selon les cas).
Pratique : Confirme le principe d’« IP box » de l’État de résidence, souvent assorti de taux de WHT à 0 % ou très réduit.
13. Professeurs, étudiants, etc. (Articles 16 et 17)
Article 16 : Professeurs ou enseignants, résidents d’un État se rendant temporairement (max. 2 ans) dans l’autre État pour y exercer une activité pédagogique, ne sont imposables que dans l’État de résidence.
Article 17 : Les étudiants, apprentis ou stagiaires ne sont pas imposés par l’État de séjour sur les subsides reçus de l’étranger.
Pratique : Fréquent en cas de programmes d’échange. S’assurer de la durée < 2 ans pour bénéficier de l’exonération.
14. Revenus non spécialement dénommés (Article 18)
Sont imposables uniquement dans l’État de résidence du bénéficiaire, sous réserve d’autres articles de la Convention.
Vise en principe les « revenus résiduels » qui n’entrent pas dans les catégories précédentes.
C. Élimination de la double imposition, non-discrimination, assistance (Articles 19 à 31)
1. Imposition de la fortune (Article 19)
Règle la répartition du droit d’imposer la fortune :
Biens immobiliers : imposables dans l’État de situation.
Biens mobiliers d’ES : imposables dans l’État où l’ES est situé.
Navires, aéronefs exploités en trafic international : imposables dans l’État du siège de direction effective.
Autres éléments de fortune : imposables dans l’État de résidence.
Clause spécifique : Les personnes physiques ayant la nationalité allemande sans la nationalité française et venant s’installer en France sont exonérées de l’ISF (aujourd’hui IFI) pendant 5 ans pour leurs biens hors de France.
Pratique : Permet d’attirer des contribuables allemands en France, type « clause de faveur ». Attention, en pratique l’IFI se limite à la fortune immobilière, on applique l’article 19 mutatis mutandis pour la partie immobilière.
2. Article 20 : Élimination de la double imposition
Allemagne : applique principalement la méthode de l’exemption (avec « progressivité ») pour les revenus imposables en France, sauf exceptions (dividendes, intérêts, redevances, etc.) où l’Allemagne pratique l’imputation.
France : pratique l’imputation d’un crédit d’impôt représentant l’impôt allemand, limité au montant de l’impôt français correspondant aux revenus. Pour certains revenus, la France applique la méthode de l’exemption mais recourt alors au taux effectif pour préserver la progressivité.
Fortune : crédit d’impôt en France égal à l’impôt de solidarité sur la fortune (ou IFI) calculé sur les biens imposés en Allemagne, dans la limite de l’impôt français afférent.
Pratique : Les règles varient selon la catégorie (dividendes qualifiés, etc.). Toujours vérifier la rédaction actualisée de l’article 20 après les avenants.
3. Non-discrimination (Article 21)
Énonce la clause classique : pas de traitement fiscal plus lourd pour les nationaux ou les entités de l’autre État que pour ses propres nationaux ou entités dans la même situation.
Extensions : apatrides, égalité de traitement des établissements stables, etc.
Paragraphe (6) (introduit ou révisé) : mention du traitement des cotisations retraites transfrontalières.
Paragraphe (8) : sur les exemptions et réductions de droits de mutation.
Pratique : Cette clause peut être invoquée en cas d’imposition discriminatoire. Il est rare de l’activer en contentieux, mais elle existe et peut être un argument complémentaire.
4. Articles 22 et 23 : Assistance administrative et recouvrement
Article 22 : Échange de renseignements, en principe large, mais limité par le secret professionnel ou l’ordre public.
Article 23 : Assistance au recouvrement des créances fiscales (modifiée sensiblement par l’avenant de 2015). Chaque État aide l’autre à recouvrer des impôts, sous conditions.
Pratique : Permet aux administrations françaises et allemandes de se communiquer des informations pertinentes sur un contribuable et de recouvrer des sommes sur le territoire de l’autre État. Les contribuables doivent être conscients de cette collaboration renforcée.
5. Articles 24 à 26 : Agents diplomatiques, mesures administratives, extension de la Convention
Article 24 : Statut spécial pour les agents diplomatiques et consulaires, généralement imposés uniquement par leur État d’envoi, sous certaines conditions de nationalité.
Article 25 : Procédure amiable – toute personne s’estimant lésée par une imposition non conforme peut engager une procédure auprès des autorités compétentes.
L’avenant du 31 mars 2015 unifie la procédure et prévoit un arbitrage obligatoire passé un délai de trois ans (sauf exceptions).
Article 26 : Mesures administratives et possibilité d’extension de l’assistance.
Pratique : En cas de litige, la procédure amiable peut aboutir à un accord entre administrations. Si l’accord n’est pas trouvé dans les 3 ans, l’affaire peut être portée à l’arbitrage (article 25(5)).
6. Articles 27 à 31 : Extension territoriale, entrée en vigueur, dénonciation
Article 27 : Possibilité d’étendre la Convention à d’autres territoires (collectivités d’outre-mer), moyennant notification.
Article 28 : Application au Land de Berlin.
Article 29 : Conditions d’entrée en vigueur (échangé des instruments de ratification, date…) ; date d’effet sur les différents impôts.
Article 30 : Durée et modalités de dénonciation.
Article 31 : Abrogation de la convention de 1934, précisions transitoires.
Pratique : L’essentiel est d’être attentif aux dates de prise d’effet de chaque avenant.
III. Perspectives pratiques et mise en œuvre
A. Procédures amiables et arbitrage (Articles 25 et 25b)
Procédure amiable
Le contribuable peut saisir l’autorité compétente de l’État de résidence (ou de nationalité s’il s’estime discriminé) dans les 3 ans suivant la première notification de l’imposition contestée.
Les autorités cherchent un accord pour éliminer la double imposition, éventuellement via échanges bilatéraux.
L’accord amiable résout souvent la situation sans aller devant les tribunaux nationaux.
Arbitrage
Introduit au niveau de la Convention européenne d’arbitrage pour les situations de double imposition portant sur les prix de transfert, et également inscrit dans l’avenant du 31 mars 2015 (article 25(5)).
Si aucun accord n’est trouvé sous 3 ans, les questions non résolues sont soumises à un panel d’arbitrage ; la décision lie les États.
Point pratique
Avantage : éviter un contentieux long et coûteux.
Inconvénient : la procédure amiable n’offre pas toujours de garantie de délai, mais l’arbitrage (lorsqu’il est applicable) impose un terme.
Recommandation : bien documenter le dossier pour convaincre l’autorité compétente du caractère non conforme de l’imposition.
B. Échange de renseignements et contrôles fiscaux transfrontaliers
Échange automatique
Portant sur certains revenus (dividendes, intérêts, certains salaires…) et les changements de résidence, transferts immobiliers, etc.
Renforcé par les directives européennes (DAC6, etc.) et l’Accord FATCA-CRS.
Échange sur demande
En cas de soupçon de fraude ou d’évasion, un État peut demander à l’autre des informations sur un contribuable.
Assistance au recouvrement
Les créances fiscales d’un État peuvent être recouvrées dans l’autre État si toutes les conditions sont remplies.
Point pratique
Les contribuables franco-allemands ne peuvent plus se contenter de dissimuler un compte de l’autre côté du Rhin. L’échange automatique de renseignements sur les revenus, comptes bancaires, etc., est désormais une réalité.
C. Cas pratiques illustratifs
1. Cas d’une PME française vendant ses produits en Allemagne
Si elle n’y dispose pas d’établissement stable (pas de bureau, pas de salarié permanent), ses bénéfices restent imposables en France.
Mais si un ES (bureau commercial) émerge, l’Allemagne impose la fraction de bénéfices attribuables à cet ES. Il faudra alors appliquer la convention pour déterminer le profit taxable et éviter la double imposition (article 4 + article 20).
2. Cas d’un salarié français travaillant en Allemagne en zone frontalière
Le salarié revient chaque soir chez lui côté français. En principe, imposé en France (article 13(5)), l’Allemagne n’exige pas d’impôt sur son salaire, mais reçoit une compensation financière de la France (article 13a).
Vigilance : Le dépassement du quota (45 jours ou plus de 20 % du temps hors zone frontalière) fait perdre le statut frontalier, entraînant l’imposition en Allemagne.
3. Cas d’un investisseur allemand détenant un immeuble de rapport à Paris
Location imposable en France, avec l’article 3. L’Allemagne exempte ces revenus (mais tient compte du montant pour calculer son taux d’impôt sur le reste, progressivité).
Sur le plan ISF/IFI, la valeur de l’immeuble est imposable en France. Un crédit d’impôt partiel en Allemagne est envisageable selon les règles internes.
4. Cas d’une société allemande qui distribue des dividendes à sa filiale française
Taux de retenue à la source allemand plafonné à 5 % (article 9(5)), si la filiale française détient au moins 10 % du capital.
En France, les dividendes sont ensuite exonérés à hauteur de 95 % si la société mère française applique le régime fiscal des sociétés mères-filles (art. 145 et 216 CGI), la fraction de 5 % demeurant imposable.
Conclusion
La Convention fiscale franco-allemande, dans sa version consolidée, demeure un texte fondamental pour tout résident, investisseur ou entreprise opérant de part et d’autre du Rhin. Elle fixe les principes de répartition de l’imposition et apporte une sécurité juridique appréciable. Toutefois, son application n’est pas sans difficulté pratique : la coexistence de règles internes, de directives européennes, d’avenants et d’accords amiables, peut entraîner un empilement complexe de dispositions.
Dès lors, il est vivement conseillé de :
Vérifier la catégorie de revenu concernée (immobilier, dividendes, salaires, etc.) ;
Appliquer la règle d’attribution du droit d’imposer (résidence ou source) ;
Déterminer la méthode d’élimination de la double imposition (exonération ou imputation) ;
Respecter les procédures déclaratives et remplir les formulaires (séries 5000, 5001, etc.) pour bénéficier des réductions ou exonérations de retenue à la source ;
En cas de litige, envisager la procédure amiable, et, si nécessaire, l’arbitrage.
Dans un contexte de contrôle fiscal de plus en plus transversal et d’échanges automatiques de renseignements, la compréhension fine des principes de la Convention est cruciale. Les conseils d’un avocat spécialisé en droit fiscal international, familiarisé avec les subtilités de la Convention et les dernières évolutions législatives, demeurent un atout essentiel pour sécuriser vos opérations et éviter tout écueil.
Références utiles et notes finales :
Texte consolidé de la Convention : disponible sur Légifrance (France) et sur le site du Bundesministerium der Finanzen (Allemagne).
BOFiP (Bulletin Officiel des Finances Publiques) – rubrique INT-CVB-DEU : commentaires et doctrines administratives françaises sur l’application de la Convention.
Site de l’OCDE : Principes directeurs en matière de prix de transfert, régulièrement cités pour l’application de l’article 5 sur les entreprises associées.
Procédures amiables : se référer aux guides pratiques publiés par la Commission européenne (pour la convention d’arbitrage) et par l’OCDE (traitant du règlement amiable des différends fiscaux).
Les dispositions relatives au Land de Berlin sont intégrées d’office, sauf renonciation explicite par l’Allemagne.
Ce panorama, quoique déjà substantiel, ne saurait remplacer un conseil personnalisé. Chaque situation requiert une analyse des textes mis à jour, des avenants, et de la jurisprudence. Néanmoins, il offre une base solide pour comprendre les principales règles fixées par la Convention fiscale franco-allemande et mesurer leur impact sur vos obligations fiscales. N'hésitez pas à nous contacter.
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