Convention Fiscale Franco-Luxembourgeoise : un aperçu détaillé
- Rodolphe Rous
- 4 avr.
- 19 min de lecture

1. Introduction générale
La Convention Fiscale entre la France et le Luxembourg, souvent désignée sous l’appellation de « Convention Franco-Luxembourgeoise », occupe une place centrale dans le cadre des relations fiscales bilatérales entre ces deux pays voisins. Celle-ci vise principalement à éviter les situations de double imposition, à prévenir la fraude et l’évasion fiscales, mais aussi à clarifier les règles d’imposition applicables aux contribuables pouvant être soumis aux législations de part et d’autre de la frontière. L’intérêt pour cette Convention se retrouve aussi bien chez les particuliers (travailleurs frontaliers, investisseurs, retraités) que chez les entreprises (sociétés commerciales, holdings, établissements financiers, etc.).
Cet instrument juridique international découle d’une volonté commune des États de favoriser la mobilité des personnes, des capitaux et des services, sans pour autant mettre en péril la souveraineté fiscale de chacun. Il est donc primordial de comprendre ses grandes lignes, ses dispositions essentielles et les implications qu’elle recouvre pour s’assurer d’une application correcte de la législation en vigueur.
En France, l’administration fiscale se réfère au Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts (BOFIP) pour préciser ses commentaires, ses instructions et ses interprétations de la Convention. Les praticiens du droit et les contribuables ont tout intérêt à consulter ces sources officielles pour bénéficier des informations les plus à jour, d’autant que les évolutions législatives et réglementaires, de même que la jurisprudence, peuvent affecter la portée concrète des stipulations conventionnelles.
Le but de cet article, dans un style juridique certes, mais avec un ton avenant, est d’apporter une vision claire et détaillée de la Convention Fiscale Franco-Luxembourgeoise. Vous trouverez, au fil des sections, une présentation des principaux concepts, un rappel du contexte historique, une mise en lumière des règles d’imposition spécifiques (dividendes, intérêts, redevances, gains en capital, etc.), ainsi qu’un aperçu des dernières évolutions et perspectives. Bien que cet exposé ne prétende pas à l’exhaustivité académique, il vise néanmoins à vous offrir une base solide pour comprendre et appliquer au mieux les règles convenues entre la France et le Luxembourg.
2. Contexte historique et fondements juridiques
La France et le Luxembourg partagent une longue histoire de coopération en matière fiscale, qui s’est consolidée au fil du temps. La première convention fiscale liant les deux pays remonte à plusieurs décennies et a été révisée à différentes reprises pour s’adapter aux mutations économiques, aux exigences européennes et à la lutte renforcée contre la fraude fiscale.
Le fondement juridique de la Convention réside dans les traités internationaux conclus sur la base du Modèle de Convention Fiscale de l’OCDE, lequel sert de référence mondiale pour l’élaboration de conventions bilatérales visant à éviter la double imposition. Chaque État signataire peut toutefois apporter des aménagements tenant compte de ses spécificités économiques et politiques, ce qui explique que la Convention Franco-Luxembourgeoise, si elle s’inspire grandement du Modèle OCDE, comporte certaines clauses particulières.
Au plan législatif français, la Convention est ratifiée par la loi, puis intégrée à l’ordre juridique interne, ce qui la rend applicable à tous les contribuables se trouvant dans le champ de ses dispositions. L’article 55 de la Constitution française consacre la primauté des traités internationaux sur la loi nationale, sous réserve de réciprocité. Ainsi, la Convention Franco-Luxembourgeoise prévaut sur les dispositions législatives ou réglementaires internes contraires, à condition que le Luxembourg respecte lui-même les engagements conventionnels.
Sur le plan du Luxembourg, la Convention est également intégrée au droit interne après approbation par le corps législatif national. Les deux pays ont mis en place des procédures internes précises afin que les conditions d’application, de modification ou de dénonciation soient nettement établies. Il est donc fondamental, pour toute entreprise ou tout particulier susceptible de relever de la Convention, d’appréhender correctement ces mécanismes juridiques.
Enfin, il convient de souligner le contexte européen dans lequel s’inscrit la relation fiscale franco-luxembourgeoise. En effet, l’Union européenne encourage la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, tout en promouvant la coopération fiscale et la transparence. La Convention s’insère donc dans un ensemble de textes européens, incluant des directives sur la fiscalité de l’épargne, l’échange automatique d’informations (DAC), ou encore la lutte contre l’optimisation agressive (ATAD). Cette superposition normative illustre la complexité grandissante du paysage fiscal transfrontalier, d’où la nécessité pour chaque contribuable de solliciter, au besoin, un conseil juridique et fiscal spécialisé.
3. Principes directeurs de la Convention
La Convention Fiscale Franco-Luxembourgeoise poursuit trois grands objectifs :
Éliminer la double imposition : Le principe de base consiste à éviter qu’un même revenu ne soit imposé deux fois, une première fois en France et une seconde au Luxembourg (ou inversement). Des mécanismes de crédit d’impôt ou d’exonération partielle sont prévus pour y parvenir.
Prévenir la fraude et l’évasion fiscales : Les deux États s’engagent à coopérer et à échanger des informations fiscales pertinentes afin de détecter et sanctionner les comportements contraires aux règles. Plusieurs clauses de la Convention, renforcées par les obligations découlant des standards internationaux (OCDE, UE), vont dans ce sens.
Favoriser la mobilité des personnes et des capitaux : Par une répartition claire des compétences fiscales entre les deux pays, la Convention apporte une sécurité juridique aux opérateurs économiques et aux particuliers. Dans un contexte de globalisation, il est essentiel que les flux transfrontaliers ne soient pas entravés par une insécurité juridique ou par la perspective d’une double imposition.
Ces principes directeurs se traduisent dans les articles de la Convention sous forme de définitions, de règles de résidence fiscale, de règles d’allocation des droits d’imposition pour les différentes catégories de revenus, ainsi que de dispositions organisant l’échange d’informations. On soulignera que la bonne application de ces principes dépend non seulement du texte conventionnel, mais aussi des législations internes et de la jurisprudence qui, ensemble, en définissent la portée concrète.
4. Détermination de la résidence fiscale
L’un des volets essentiels de toute convention fiscale est la définition de la résidence fiscale, car c’est elle qui conditionne l’application des différents droits d’imposition. La Convention Franco-Luxembourgeoise se réfère, dans l’ensemble, aux critères standards inspirés du Modèle OCDE :
Domicile et lieu de séjour principal : Il s’agit du critère de base permettant d’identifier où se trouve le « foyer permanent d’habitation ».
Centre des intérêts vitaux : Si un contribuable a un logement dans les deux pays, on s’intéresse au lieu où la personne entretient ses relations personnelles et économiques les plus étroites.
L’habitude de séjour : Si les précédents critères ne permettent pas d’identifier clairement la résidence, la durée et la répartition du temps passé dans chaque pays seront considérées.
Nationalité : En dernier ressort, si les critères précédents ne résolvent pas la question, la nationalité du contribuable peut permettre de trancher.
La résidence fiscale ainsi établie est d’une importance majeure, car elle conditionne l’application des taux d’imposition, l’octroi des crédits d’impôt, ou la détermination du pays ayant le droit exclusif ou principal d’imposer certains revenus. Par exemple, un résident français exerçant une activité salariée au Luxembourg pourra bénéficier d’exonérations ou de réductions d’impôt en France, selon les modalités prévues par la Convention. Les frontaliers sont souvent concernés par les dispositions spécifiques, notamment en ce qui concerne le nombre de jours travaillés à distance (télétravail) ou en France.
Il convient d’être particulièrement vigilant quant aux situations de résidence partagée ou en cas de « dual residence », situation dans laquelle un contribuable remplit simultanément les critères de résidence fiscale en France et au Luxembourg. Dans ce cas, les clauses de la Convention interviennent pour éviter toute ambiguïté et éviter la double imposition. Il n’est pas rare de voir des litiges naître sur la question de la résidence fiscale, spécialement lorsque le contribuable dispose de biens immobiliers, d’une famille, ou d’activités professionnelles réparties entre les deux territoires.
5. Champ d’application et structure des revenus imposables
La Convention couvre un large éventail de catégories de revenus, depuis les salaires jusqu’aux gains en capital, en passant par les revenus de capitaux mobiliers ou de locations immobilières. Chaque catégorie fait l’objet d’une répartition précise du droit d’imposer entre l’État de la source (là où le revenu est généré) et l’État de la résidence (là où le bénéficiaire est résident fiscal).
Pour simplifier, on pourra distinguer les principaux revenus suivants :
Revenus professionnels : Salaires, traitements, honoraires, bénéfices industriels et commerciaux, etc.
Revenus de capitaux mobiliers : Dividendes, intérêts, redevances, etc.
Revenus immobiliers : Loyers issus de la location d’un bien, revenus fonciers, etc.
Gains en capital (plus-values) : Réalisés sur la cession de titres, d’actifs immobiliers, etc.
Pensions et retraites : Qu’elles soient issues du secteur public ou privé, leur imposition varie suivant le pays d’origine et la nature de la pension.
Pour chacun de ces types de revenus, la Convention prévoit des règles qui s’écartent parfois de la législation interne de chaque pays. Par exemple, les dividendes versés par une société luxembourgeoise à un résident français peuvent être soumis à un taux maximal de retenue à la source (souvent limité à un pourcentage inférieur aux taux normaux pratiqués par le Luxembourg), assorti d’un crédit d’impôt en France. Il est essentiel de toujours se référer aux textes officiels et aux commentaires du BOFIP pour appréhender les taux, les conditions et les formalités administratives qui s’y rattachent.
6. Imposition des dividendes
Les dividendes sont souvent au cœur des considérations fiscales, en particulier pour les entreprises ou holdings établies au Luxembourg et dont les actionnaires sont résidents français, ou inversement. La Convention Franco-Luxembourgeoise, sur ce point, s’aligne globalement sur le Modèle OCDE :
Droit d’imposer du pays de la source : L’État d’où provient le dividende (c’est-à-dire, dans la pratique, l’État de la société distributrice) conserve le droit de percevoir un impôt à la source, dont le taux est plafonné conventionnellement (généralement compris entre 5 % et 15 % selon la participation dans la société).
Droit d’imposer de l’État de résidence : Le pays où réside l’actionnaire bénéficie aussi d’un droit d’imposition, mais doit accorder un crédit d’impôt au résident pour éviter la double imposition, ou exonérer sous conditions la fraction déjà taxée.
Éventuelles exonérations ou réductions : Certaines participations importantes (direct holdings) peuvent bénéficier de taux réduits, voire d’exonération, dès lors qu’elles respectent les conditions fixées par les directives européennes (Directive Mère-Fille, par exemple) et les clauses spécifiques de la Convention.
En pratique, pour un résident fiscal français recevant des dividendes d’une société luxembourgeoise, on vérifiera d’abord le taux de retenue à la source appliqué au Luxembourg. Ensuite, le bénéficiaire déclare les dividendes en France, mais bénéficie d’un crédit d’impôt égal à l’impôt retenu au Luxembourg, dans la limite du taux conventionnel prévu. Il se peut qu’un différentiel reste dû, en particulier si la taxation française, après abattements éventuels, excède la retenue à la source luxembourgeoise.
Le BOFIP commente de façon assez détaillée les modalités de déclaration et de calcul du crédit d’impôt relatif aux dividendes transfrontaliers, notamment sur la détermination de la base imposable, les abattements (40 % sur les dividendes perçus en France pour les particuliers), ou les particularités liées à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. Les professionnels ou particuliers concernés auront donc intérêt à se pencher sur ces précisions, voire à solliciter un conseil fiscal pour sécuriser leurs déclarations et optimiser leur situation.
7. Règles d’imposition des intérêts
Les intérêts versés par un débiteur d’un État contractant à un créancier résidant dans l’autre État sont, eux aussi, régis par la Convention. Dans la lignée du Modèle OCDE :
Droit d’imposition principal : L’État de résidence du bénéficiaire demeure en principe le principal compétent pour taxer les intérêts.
Retenue à la source limitée : L’État de la source peut aussi pratiquer une retenue à la source, mais cette retenue est généralement plafonnée à un taux relativement bas (souvent de l’ordre de 10 %, voire 5 %, selon la Convention).
Exemptions spécifiques : Dans certains cas, les intérêts sont totalement exonérés dans l’État de la source, notamment s’ils sont versés à des organismes publics ou assimilés, ou si la dette est contractée dans le cadre d’une convention de financement public.
Pour la France et le Luxembourg, l’échange d’informations est renforcé afin de lutter contre le recours à des structures artificielles visant à contourner la retenue à la source ou à dissimuler le bénéficiaire effectif. Les obligations déclaratives des établissements financiers sont strictes, tant sous l’angle de la législation interne que des standards internationaux (échange automatique de renseignements, FATCA, CRS, etc.).
8. Redevances (royalties)
Les redevances, couvrant notamment les droits d’auteur, brevets, marques de fabrique, noms commerciaux, savoir-faire, etc., connaissent un régime particulier dans la Convention :
Droit d’imposition partagé : L’État de résidence du bénéficiaire de la redevance est compétent pour imposer le revenu, tandis que l’État de la source peut appliquer une retenue à la source à un taux conventionnel limité.
Exonérations ou taux réduits : Selon la nature exacte de la redevance et les dispositions de la Convention, il peut exister des cas d’exonération dans l’État de la source, ou des taux réduits de quelques pour cent.
Règles anti-abus : Des dispositions spécifiques empêchent l’utilisation de sociétés écrans, visant à localiser artificiellement des actifs incorporels au Luxembourg ou en France. Les autorités fiscales vérifient la substance économique des sociétés et le caractère effectif de leur gestion.
Le Luxembourg est historiquement perçu comme un centre financier et d’innovation, ce qui peut motiver certaines entreprises à y loger leurs droits de propriété intellectuelle. Toutefois, depuis plusieurs années, on assiste à un renforcement des règles internationales (BEPS de l’OCDE, directives européennes) pour éviter que les États ne subissent une érosion de leur base imposable. Les redevances constituent de ce fait un domaine particulièrement sensible, justifiant un examen minutieux de la Convention, des lois internes et de la jurisprudence.
9. Gains en capital (plus-values)
Les gains en capital réalisés lors de la cession de titres, d’actions, d’obligations ou de biens immobiliers font l’objet de stipulations spécifiques dans la Convention Franco-Luxembourgeoise.
De manière générale :
Imposition des plus-values immobilières : Les gains réalisés sur la cession d’un bien immobilier sont, dans la plupart des conventions, imposables dans l’État où se situe l’immeuble. Cela vaut également pour les parts de sociétés à prépondérance immobilière.
Imposition des plus-values mobilières : Les plus-values sur titres (actions, parts sociales) sont souvent imposables dans l’État de résidence du cédant, sauf exceptions.
Exceptions pour les participations substantielles : Si l’actionnaire détient une participation significative dans une société, la Convention peut accorder à l’État de la source un droit d’imposer tout ou partie de la plus-value, pour éviter que l’on ne délocalise artificiellement la résidence à des fins d’évasion fiscale au moment de la cession.
La fiscalité des plus-values étant particulièrement changeante en droit interne, il est vivement recommandé de se tenir informé des aménagements législatifs et de vérifier leur compatibilité avec la Convention. Les résidents français, par exemple, sont soumis à l’impôt sur le revenu au barème progressif (avec abattements éventuels pour durée de détention) ou au Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU), selon le choix effectué ou la réglementation en vigueur. L’interaction de la retenue à la source au Luxembourg et de la taxation en France implique souvent la production de justificatifs et l’utilisation de formulaires spécifiques pour obtenir un crédit d’impôt ou un remboursement le cas échéant.
10. Dispositions relatives à l’élimination de la double imposition
Au cœur de la Convention se trouve le mécanisme visant à éliminer la double imposition, lequel repose principalement sur deux techniques :
Le crédit d’impôt : L’État de résidence reconnaît l’impôt payé dans l’État de la source par le contribuable, sous forme d’un crédit venant réduire l’impôt dû. Le montant de ce crédit est plafonné au montant de l’impôt qui serait normalement dû dans l’État de résidence.
L’exonération : Certains revenus imposables dans l’État de la source peuvent être exonérés dans l’État de résidence, sous réserve d’une progressivité de l’impôt. Cela signifie qu’ils ne sont pas inclus dans la base imposable, mais qu’ils peuvent être pris en compte pour déterminer le taux d’imposition applicable aux autres revenus.
Chaque catégorie de revenus peut faire l’objet d’une méthode différente. Par exemple, les traitements et salaires de source luxembourgeoise perçus par un résident français pourraient être exonérés en France (méthode d’exonération), mais pris en compte pour le calcul du taux d’imposition applicable aux autres revenus. À l’inverse, les dividendes pourraient être taxés en France avec un crédit d’impôt imputable.
Le BOFIP détaille la manière dont ces mécanismes s’opèrent en pratique, en précisant les obligations déclaratives, les formulaires à remplir (par exemple, le formulaire 2047 pour les revenus de source étrangère), et les justificatifs nécessaires (certificat de retenue à la source, avis d’imposition émis au Luxembourg, etc.). Cette documentation administrative est cruciale pour éviter toute contestation ultérieure ou tout redressement fiscal.
11. Lutte contre l’évasion fiscale et clauses anti-abus
La Convention Franco-Luxembourgeoise comporte des clauses visant à lutter contre l’évasion fiscale et la fraude, notamment en :
Interdisant l’octroi d’avantages conventionnels (exonérations, réductions de taux, crédits d’impôt) lorsque les montages ou les transactions n’ont pas de substance économique réelle, ou n’ont pour but que de contourner la fiscalité légitime d’un État.
Prévoyant l’échange automatique d’informations sur certaines catégories de revenus (dividendes, intérêts, etc.) ou de manière plus générale, conformément aux standards OCDE et à la législation européenne.
Encourageant la coopération administrative : Les autorités fiscales française et luxembourgeoise peuvent s’entraider pour procéder à des enquêtes, recueillir des pièces justificatives et vérifier la réalité de certaines opérations transfrontalières.
Ces instruments juridiques s’inscrivent dans une dynamique internationale de plus en plus exigeante : le Plan d’action BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) de l’OCDE a incité de nombreux pays à insérer dans leurs conventions fiscales une clause générale anti-abus (GAAR) ou une règle limitant les avantages (Limitation on Benefits – LOB). Le Luxembourg, longtemps perçu comme un territoire attractif pour ses régimes fiscaux favorables, s’est aligné sur ces nouvelles normes pour sauvegarder sa crédibilité et éviter de figurer sur des « listes noires » ou « grises » de paradis fiscaux.
De ce fait, les investisseurs ou entrepreneurs qui projettent d’implanter des sociétés au Luxembourg doivent veiller à ce que leurs structures répondent à un critère de substance (locaux, employés, gestion effective) et à un véritable objectif économique, sans quoi les avantages conventionnels pourraient être remis en cause, voire annulés, en cas de contrôle fiscal approfondi.
12. L’échange d’informations entre autorités fiscales
L’échange d’informations est un pilier essentiel de la coopération internationale en matière fiscale. La Convention Franco-Luxembourgeoise prévoit différents canaux :
Échange sur demande : Lorsqu’une administration fiscale dispose de motifs valables de soupçonner une évasion ou une fraude, elle peut solliciter auprès de l’autre administration les renseignements nécessaires (coordonnées bancaires, relevés de comptes, etc.).
Échange automatique : Dans le cadre des accords européens et OCDE (CRS, DAC), certaines catégories de revenus font l’objet d’un échange automatique (dividendes, intérêts, produits d’assurance-vie, etc.).
Échange spontané : Si l’administration fiscale d’un pays découvre des informations susceptibles d’intéresser l’autre pays (par exemple, un schéma frauduleux), elle peut lui transmettre sans requête préalable.
Grâce à ces dispositifs, la transparence s’est considérablement renforcée entre la France et le Luxembourg. Les établissements financiers doivent en outre collecter et communiquer des données sur les résidents étrangers, ce qui limite les possibilités de dissimulation de patrimoine. Les professionnels du droit (avocats, notaires, experts-comptables) doivent également respecter les obligations anti-blanchiment et déclarer toute suspicion de fraude ou d’infraction pénale. Le manquement à ces obligations peut entraîner des sanctions disciplinaires ou pénales.
13. Mesures anti-abus spécifiques et clauses limitatives
Au-delà de la lutte contre l’évasion fiscale au sens large, la Convention Franco-Luxembourgeoise contient parfois des clauses limitant l’accès à certains avantages, dites « clauses de limitation des avantages » (Limitation of Benefits – LOB). L’objectif est d’éviter que des résidents d’États tiers ne s’installent artificiellement au Luxembourg ou en France uniquement pour profiter des réductions de retenue à la source ou d’autres faveurs conventionnelles.
Ces clauses imposent, par exemple, que le bénéficiaire effectif des revenus soit réellement établi dans le pays signataire et qu’il y exerce une activité économique substantielle. Elles peuvent également exiger qu’un pourcentage minimal du capital social soit détenu par des résidents de l’un ou l’autre État contractant. Par conséquent, la simple création d’une holding au Luxembourg, vide de toute activité réelle, ne suffit plus pour bénéficier des réductions ou exonérations prévues dans la Convention.
14. Fiscalité de la TVA et autres impôts indirects
Bien que la TVA ne figure pas toujours au cœur des conventions fiscales, la coopération franco-luxembourgeoise inclut des mécanismes d’harmonisation issus du droit européen. Les échanges de biens et de services intracommunautaires obéissent à des règles communes, et chaque État applique sa propre législation en fonction des directives européennes. Le Luxembourg, avec un taux normal de TVA historiquement bas (même s’il a été relevé progressivement), a parfois attiré des e-commerçants, mais les règles de facturation et de déclaration se sont durcies pour éviter le contournement des taux plus élevés en France.
Par ailleurs, d’autres impôts indirects (droits d’enregistrement, droits de succession et de donation, taxes sur certaines activités spéciales) peuvent ne pas relever directement de la Convention ou bénéficier d’accords spécifiques. Il est donc prudent de vérifier, au cas par cas, l’existence de règles bilatérales ou, à défaut, l’application du droit interne de chaque État.
15. Aspects pratiques de mise en œuvre pour les contribuables
Sur le plan pratique, la mise en œuvre de la Convention exige une connaissance précise des obligations déclaratives dans chaque pays. Quelques points essentiels :
Formulaires : Les résidents français doivent déclarer les revenus de source luxembourgeoise sur le formulaire 2047, ainsi que sur leur déclaration de revenus principale (2042). Ils peuvent avoir à remplir un formulaire de demande de crédit d’impôt ou de remboursement si une retenue à la source a été appliquée au Luxembourg.
Justificatifs : Il est indispensable de conserver les attestations de retenue à la source, les relevés bancaires, les feuilles de salaire, ainsi que tout document prouvant la nature et l’origine des revenus.
Délai de dépôt : Les dates limites de déclaration peuvent diverger entre la France et le Luxembourg, d’où la nécessité de s’organiser en amont, notamment pour éviter les pénalités de retard.
Demande d’assistance administrative : En cas de doute ou de litige sur un point de la Convention, le contribuable peut solliciter un rescrit auprès de l’administration fiscale compétente, ou encore recourir à la procédure amiable prévue par la Convention.
Pour les entreprises, la complexité peut s’accroître si elles opèrent via des filiales, succursales ou établissements stables dans les deux pays. La détermination du résultat imposable à affecter à chacun des territoires requiert une analyse minutieuse des transferts intragroupe, des règles de prix de transfert et de la réalité économique de chaque implantation.
16. Les dernières actualités législatives et conventionnelles
Au fil des ans, la Convention Franco-Luxembourgeoise a fait l’objet de modifications ou d’avenants, généralement pour l’aligner sur les évolutions du Modèle OCDE et sur les directives européennes. Les points récemment abordés incluent :
La mise à jour des règles anti-abus : Introduction de dispositions plus restrictives pour contrer les montages d’optimisation agressive, en ligne avec l’action BEPS de l’OCDE.
L’extension de l’échange automatique d’informations : Élargissement des catégories de revenus concernées, renforcement des obligations déclaratives des banques et autres institutions financières.
L’adaptation aux nouveaux contextes (télétravail) : Suite à la pandémie de COVID-19, des accords spécifiques ont été conclus pour définir le régime applicable aux jours télétravaillés par les frontaliers. À plusieurs reprises, la France et le Luxembourg ont adapté leurs conventions pour clarifier les règles de sécurité sociale et d’imposition des salaires.
Les futurs développements pourraient porter sur un approfondissement encore plus poussé de la coopération dans la lutte contre la planification fiscale agressive, notamment via la transposition des dernières recommandations de l’OCDE en matière de reporting pays par pays, ou via l’évolution des règles européennes relatives à la fiscalité des entreprises.
17. Les démarches administratives en cas de double imposition effective
Même si la Convention vise à prévenir et éliminer la double imposition, certaines situations compliquées peuvent conduire à une imposition double effective, au moins temporairement. Dans ce cas :
Procédure amiable : Le contribuable peut initier une procédure amiable auprès de l’administration de son pays de résidence, laquelle contactera l’administration de l’autre pays pour tenter de résoudre le différend.
Arbitrage : Si la procédure amiable n’aboutit pas, certaines conventions prévoient un mécanisme d’arbitrage, conformément à l’Instrument Multilatéral (MLI) ou à des accords bilatéraux.
Recours contentieux : Le contribuable a toujours la possibilité de saisir les juridictions nationales compétentes, mais ces procédures peuvent s’avérer longues et coûteuses.
Il est donc fortement recommandé de privilégier la voie amiable et la négociation entre administrations, car elles disposent d’une grande marge d’appréciation pour se mettre d’accord sur le partage des droits d’imposition. Les avocats fiscalistes sont alors des interlocuteurs clés pour accompagner ces démarches, rédiger les requêtes et défendre les intérêts de leurs clients.
18. Cas particuliers : travailleurs frontaliers et télétravail
Le régime des travailleurs frontaliers occupe une place centrale dans les relations Franco-Luxembourgeoises. Il existe en effet un régime spécifique pour les personnes résidant en France mais travaillant au Luxembourg (ou inversement), leur permettant, sous conditions, d’être imposées principalement dans l’État où elles exercent leur activité professionnelle. Cependant, ce régime fait l’objet d’ajustements fréquents, notamment concernant le nombre de jours travaillés en dehors du Luxembourg (télétravail) qui pourrait potentiellement déplacer la compétence d’imposition vers la France.
Des accords ponctuels ont été signés ces dernières années pour s’adapter aux nouvelles pratiques professionnelles, en particulier depuis le recours massif au télétravail. Les règles en la matière évoluent rapidement, et il est crucial de vérifier les textes actualisés pour déterminer si, par exemple, un télétravail ponctuel (de 30 jours par an, ou 34 jours selon l’accord en vigueur) est toléré sans remettre en cause le régime frontalier. Au-delà de ce quota, l’administration fiscale française peut considérer qu’une partie du salaire est imposable en France, entraînant des conséquences pour l’employeur comme pour le salarié.
19. Impact sur la planification patrimoniale et fiscale
La Convention Franco-Luxembourgeoise s’avère également déterminante pour la planification patrimoniale, surtout si l’on détient des biens immobiliers ou des actifs financiers de part et d’autre de la frontière. Les stratégies d’optimisation peuvent inclure :
La création de sociétés holding : Pour gérer un portefeuille de participations, percevoir des dividendes et les redistribuer. Ces montages doivent toutefois respecter les exigences de substance et les règles anti-abus.
Le recours à l’assurance-vie luxembourgeoise : Souvent vantée pour ses avantages en termes de protection de l’épargne, de diversification et de flexibilité, mais qui demeure soumise à la fiscalité française pour un résident en France.
L’investissement immobilier transfrontalier : Les lois internes françaises et luxembourgeoises ainsi que la Convention définissent les modalités d’imposition des revenus locatifs et des plus-values en cas de revente.
Dans toutes ces configurations, la prudence est de mise. Une planification patrimoniale ne peut se résumer à la seule recherche d’allègements fiscaux, au risque de tomber sous le coup des clauses anti-abus. Il s’agit plutôt d’opter pour des structures cohérentes, qui répondent à un véritable objectif économique ou familial (protection du conjoint, transmission aux enfants, etc.).
20. Jurisprudence récente et interprétations administratives
La jurisprudence des juridictions françaises (Conseil d’État, cour administrative d’appel) et luxembourgeoises contribue à préciser l’interprétation et la portée concrète de la Convention. De même, les réponses ministérielles et commentaires du BOFIP aident à comprendre la position de l’administration fiscale sur certains points spécifiques, par exemple :
L’identification du bénéficiaire effectif (qui est réellement imposable) lorsque des sociétés écrans ou des trusts sont interposés.
Les critères de résidence fiscale en cas de séjour intermittent et de logement d’appoint dans l’autre pays.
La qualification de certains revenus (dividendes vs salaires déguisés, intérêts vs rémunération déguisée de prestations de services, etc.).
La connaissance de cette jurisprudence est essentielle pour un praticien du droit fiscal ou pour un contribuable soucieux d’éviter les redressements. Les décisions de justice peuvent parfois s’écarter de l’interprétation administrative, entraînant une évolution de la doctrine commentée dans le BOFIP.
21. Conclusion : un instrument en évolution constante
La Convention Fiscale Franco-Luxembourgeoise s’inscrit dans un dispositif complexe, mêlant droit international, droit européen et législation interne de chaque pays. Son but fondamental demeure l’élimination de la double imposition et la prévention de la fraude fiscale, dans une optique de facilitation des échanges entre les deux États. Toutefois, les multiples évolutions législatives, la montée en puissance des règles internationales anti-abus, et les nouveaux usages (comme le télétravail) rendent indispensable une vigilance de tous les instants.
Pour les contribuables, la première étape consiste à bien cerner leur statut de résident fiscal, à déterminer la qualification et la source de leurs revenus, puis à appliquer les mécanismes d’exonération ou de crédit d’impôt prévus par la Convention. En cas de doute, l’expertise d’un avocat fiscaliste s’avère souvent précieuse afin de réaliser un diagnostic sur mesure, qui tiendra compte des spécificités personnelles (patrimoine, situation familiale, mobilité professionnelle) et des exigences légales constamment actualisées.
De nouveaux amendements ou clarifications pourraient voir le jour dans les prochaines années, au rythme des discussions internationales sur la répartition de la matière imposable, l’échange d’informations et la lutte contre la planification fiscale abusive. Il est donc conseillé aux particuliers comme aux entreprises qui entretiennent des relations économiques ou familiales entre la France et le Luxembourg de se tenir régulièrement informés des changements et de prendre en compte la Convention dans toutes leurs démarches transfrontalières.
Remarque finale : Ce document, bien qu’aussi complet que possible, ne saurait se substituer à un conseil personnalisé ni à la lecture des textes officiels (Convention, BOFIP, etc.). Chaque situation nécessite une analyse propre, au regard de la législation en vigueur et des mises à jour susceptibles d’intervenir. Pour toute question spécifique, il est vivement conseillé de consulter un professionnel qualifié (avocat fiscaliste, expert-comptable), qui saura vous guider dans l’application concrète de la Convention Franco-Luxembourgeoise.
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