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Déclaration de créance et clause attributive de compétence : portée de l’incompétence du juge-commissaire et impact sur l’admission partielle de la créance

Rodolphe Rous



L’arrêt du 11 décembre 2024, rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, éclaire la portée d’une clause attributive de compétence invoquée devant le juge-commissaire dans le cadre de la vérification des créances. La Haute juridiction y précise que le juge-commissaire doit se déclarer incompétent sans apprécier la gravité de la contestation, sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la clause. Elle souligne également que le juge-commissaire reste en mesure d’admettre la partie non contestée de la créance et conserve sa compétence une fois la contestation partielle tranchée. Ce commentaire d’arrêt présente, dans un premier temps, les faits et le champ d’application des principes de l’article L. 624-2 du Code de commerce, puis revient, dans un second temps, sur la solution de la Cour de cassation et ses conséquences pratiques pour les acteurs de la procédure collective.



I. Cadre légal et faits de l’espèce


A — Champ d’application de l’article L. 624-2 du Code de commerce et régime de la clause attributive de compétence


L’article L. 624-2 du Code de commerce pose le principe suivant : le juge-commissaire, dès lors qu’une clause attributive de compétence est invoquée, doit se déclarer incompétent et renvoyer les parties devant le tribunal prévu par la clause, à moins que celle-ci ne soit manifestement nulle ou inapplicable. Dans l’arrêt commenté, la clause attributive figurait au contrat (soumis au droit irlandais) liant les parties pour la location d’équipements industriels. Les loyers impayés étaient reconnus, mais les indemnités de résiliation et de mise en demeure faisaient l’objet d’une contestation, laquelle relevait de la juridiction irlandaise selon la clause. Bien que la clause ne fût pas manifestement nulle, la cour d’appel s’est déclarée incompétente sur l’intégralité de la créance, sans distinguer la partie incontestée de la partie réellement litigieuse.


B — Faits et problématique du litige


Une société bailleresse, après résiliation pour impayés, avait déclaré sa créance au passif de la locataire mise en redressement, puis en liquidation judiciaire. Seule la partie relative aux indemnités contractuelles était véritablement contestée, la créance principale de loyers restant acquise. La cour d’appel s’est fondée sur la validité de la clause attributive pour rejeter sa compétence et celle du juge-commissaire sur l’ensemble de la demande. Or, le bailleur estimait que la partie incontestée devait être admise sans attendre la résolution de la contestation sur les indemnités, d’autant que l’article L. 624-2 du Code de commerce prévoit l’admission partielle quand la contestation ne porte que sur une fraction de la créance.



II. Analyse de la décision de la Cour de cassation et conséquences pratiques


A — Incompétence du juge-commissaire et nécessité d’admettre la partie non contestée


La Cour de cassation confirme que le juge-commissaire, saisi d’une clause attributive, n’a pas à se prononcer sur le caractère sérieux de la contestation. Il doit se déclarer incompétent à moins que la clause invoquée ne soit manifestement invalide. Elle sanctionne toutefois la cour d’appel pour avoir étendu sa décision d’incompétence à l’intégralité de la créance. Selon la Cour, lorsque la contestation ne porte que sur une partie de la créance, le juge-commissaire est tenu d’admettre immédiatement la partie non contestée. Les parties sont invitées à saisir la juridiction compétente pour statuer sur la partie litigieuse, conformément à la clause.


B — Effet du dessaisissement et maintien de la compétence du juge-commissaire


La Cour rappelle que, conformément à l’article R. 624-5 du Code de commerce, une fois la contestation partielle jugée ou la forclusion acquise, le juge-commissaire peut toujours statuer sur la créance déclarée. La décision d’incompétence n’emporte donc pas un dessaisissement définitif de l’ensemble du litige, mais uniquement de la partie relevant de la clause. Le juge-commissaire demeure compétent pour admettre ou rejeter la demande, une fois l’organe étranger saisi de la contestation s’étant prononcé ou la partie déclarée forclose. La cour d’appel, en considérant que le juge-commissaire et elle-même étaient dessaisis de façon totale et immédiate, a méconnu ce mécanisme.


Au final, cet arrêt offre un cadre précis sur la façon de concilier l’existence d’une clause attributive de compétence et le régime juridique de la déclaration de créance. Le juge-commissaire n’est pas tenu d’apprécier la gravité de la contestation en présence d’une clause valide, mais conserve la possibilité d’admettre sans délai la part de la créance non contestée. Le dessaisissement du juge-commissaire reste circonscrit au seul objet litigieux visé par la clause, ce qui permet une meilleure sécurité juridique pour la partie incontestée.

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