Financement 'new money' : les privilèges sont-ils un appât suffisant ?
- Rodolphe Rous
- il y a 12 heures
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Le financement est le nerf de la guerre, et c'est particulièrement vrai pour une entreprise en difficulté. Qu'il s'agisse de traverser une période d'observation en sauvegarde ou redressement, ou de financer les mesures d'un plan de restructuration négocié en conciliation, l'obtention d'argent frais ("new money") est souvent la condition sine qua non de la survie. Conscient de cet enjeu, le législateur français a, au fil des réformes (notamment en 2005 et plus récemment avec l'ordonnance de 2021 transposant la directive européenne "Restructuring"), mis en place et renforcé des mécanismes de privilèges destinés à sécuriser et encourager ces financements cruciaux. Mais ces outils juridiques, aussi sophistiqués soient-ils, sont-ils réellement suffisants pour convaincre les apporteurs de fonds de prendre le risque ? Analysons l'attractivité et les limites de ces dispositifs.
Les outils légaux : panorama des privilèges
Deux mécanismes principaux visent à protéger le "new money" :
Le privilège de conciliation (dit "de new money" - article L. 611-11 du Code de commerce) : C'est l'outil phare de la prévention. Lorsqu'un accord de conciliation est constaté ou homologué par le tribunal, ce dernier peut accorder, sur demande du débiteur, un privilège spécifique aux personnes qui s'engagent dans cet accord à apporter "un nouvel apport en trésorerie" ou à fournir "un nouveau bien ou service" en vue d'assurer la poursuite de l'activité et la pérennité de l'entreprise.
Effet : En cas d'ouverture ultérieure d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ces créanciers "privilégiés" seront payés prioritairement, juste après le superprivilège des salaires et les frais de justice postérieurs au jugement d'ouverture, mais avant la plupart des autres créanciers antérieurs et postérieurs (y compris Trésor et organismes sociaux, sauf exceptions pour certaines créances postérieures).
Force : Ce privilège est conçu pour être robuste et offrir une sécurité juridique forte aux investisseurs ou prêteurs qui conditionnent leur intervention à son obtention. La réforme de 2021 a d'ailleurs renforcé son attractivité en précisant sa primauté.
Le traitement prioritaire des créances postérieures "méritantes" (article L. 622-17 du Code de commerce) : Ce mécanisme s'applique une fois la sauvegarde ou le redressement judiciaire ouvert. Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture bénéficient d'un paiement prioritaire si elles répondent à certains critères : être nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période.
Application au financement : Un prêt consenti pendant la période d'observation pour financer le fonds de roulement ou un investissement indispensable à la poursuite de l'activité entre dans cette catégorie et sera payé à échéance (ou selon l'échéancier prévu). S'il n'est pas payé, il bénéficiera d'un rang prioritaire par rapport aux créances antérieures dans le cadre de la répartition des actifs.
Comparaison : Bien qu'offrant une priorité, ce traitement est parfois perçu comme légèrement moins sécurisant que le privilège L. 611-11 par certains prêteurs, car sa mise en œuvre peut dépendre de l'appréciation de la "nécessité" de la créance pour la procédure.
L'attractivité réelle : pourquoi ça peut marcher ?
Ces mécanismes ne sont pas que théoriques. Ils constituent des arguments forts pour attirer des financements :
Réduction du risque : Le rang privilégié diminue considérablement le risque de non-recouvrement par rapport aux créanciers chirographaires antérieurs.
Incitation claire : Ils envoient un signal aux prêteurs : leur effort pour soutenir l'entreprise en difficulté sera reconnu et protégé par la loi en cas de dégradation ultérieure de la situation.
Facilitation des accords : En conciliation, le privilège L. 611-11 est souvent une condition clé exigée par les apporteurs de fonds pour accepter de participer à un plan de restructuration. De nombreux sauvetages n'auraient pu aboutir sans cette garantie.
Les limites du système : pourquoi ce n'est pas toujours suffisant ?
Malgré ces atouts juridiques, obtenir du "new money" reste un parcours semé d'embûches :
Le risque économique persiste : Même avec un privilège, si l'entreprise finit en liquidation avec des actifs très insuffisants, même les créanciers privilégiés peuvent ne pas recouvrer l'intégralité de leur mise (le superprivilège des salaires et les frais de justice priment toujours). Le privilège réduit le risque juridique, pas le risque économique fondamental.
Conditions d'octroi du privilège L. 611-11 : Il faut aboutir à un accord de conciliation et obtenir son homologation par le tribunal. Le financement peut être nécessaire avant, ou l'homologation peut être refusée, laissant le prêteur sans la protection escomptée si l'apport a déjà été fait.
Incertitudes du traitement L. 622-17 : La discussion sur la "nécessité" de la créance pour la procédure peut introduire une part d'incertitude.
Réticence des prêteurs : Les banques traditionnelles, en particulier, peuvent rester frileuses face à un dossier de restructuration, malgré les privilèges, en raison de la dégradation de la signature du débiteur, de contraintes réglementaires internes (Bâle III/IV), ou de considérations de réputation.
Besoin de garanties additionnelles : Souvent, le privilège légal seul ne suffit pas. Les prêteurs exigent des sûretés réelles (hypothèques, nantissements...) sur les actifs de l'entreprise, si disponibles. Cela limite l'accès au "new money" pour les entreprises ayant peu d'actifs non grevés.
Acteurs et montants : Ces mécanismes sont peut-être plus adaptés aux restructurations d'une certaine taille, impliquant des fonds spécialisés ou des investisseurs avertis, qu'aux PME ayant besoin de quelques dizaines ou centaines de milliers d'euros auprès de leur banque historique.
Conclusion : des outils nécessaires mais pas magiques
Les privilèges de "new money", et en particulier celui de l'article L. 611-11 du Code de commerce, sont des avancées indéniables et des outils essentiels dans l'arsenal du droit des restructurations. Ils ont prouvé leur utilité et permettent de sécuriser des financements qui seraient autrement impossibles à obtenir.
Cependant, ils ne constituent pas une garantie absolue ni une solution miracle. La décision d'injecter de l'argent frais dans une entreprise en difficulté reste complexe, dépendant fortement de l'analyse du risque économique sous-jacent, de la qualité du plan de restructuration proposé, de la disponibilité de garanties complémentaires et de l'appétit pour le risque des financeurs. Le cadre légal incite et protège, mais la décision finale reste entre les mains de ceux qui détiennent les cordons de la bourse.
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