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Les pouvoirs du juge-commissaire dans les procédures collectives

Rodolphe Rous



Le juge-commissaire occupe une place centrale dans les procédures collectives françaises (sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation judiciaire), en vertu des dispositions du Livre VI du Code de commerce. Il est investi de missions essentielles pour garantir le bon déroulement de la procédure, l’égalité de traitement des créanciers et la protection de l’entreprise en difficulté. Son intervention, encadrée par le législateur, soulève de nombreuses questions pratiques relatives à l’étendue de ses pouvoirs, aux limites de son action et à sa collaboration avec les autres organes de la procédure (mandataire judiciaire, administrateur, juge-commissaire d’autres procédures, etc.).


Le présent exposé propose de dresser un panorama complet des pouvoirs conférés au juge-commissaire. Il s’organise en deux grandes parties, chacune subdivisée en deux sous-parties. Dans la première partie, nous examinerons la désignation du juge-commissaire, son rôle et ses missions générales. Dans la seconde, nous étudierons plus spécifiquement l’étendue de ses pouvoirs, en mettant en exergue les limites posées par la loi et la jurisprudence ainsi que l’articulation de ces pouvoirs avec ceux des autres organes de la procédure.L’approche retenue se veut à la fois pratique et rigoureuse. Nous citerons à l’appui les textes législatifs ou réglementaires pertinents (notamment le Code de commerce, complété par les décrets d’application) et apporterons un éclairage sur les décisions jurisprudentielles majeures. Les entreprises en difficulté, leurs dirigeants et leurs conseils juridiques (avocats, mandataires judiciaires, administrateurs judiciaires) trouveront ici des éléments de compréhension et de mise en œuvre destinés à favoriser la bonne conduite des procédures collectives.



Première partie. Désignation, rôle et missions générales du juge-commissaire


I.1. La désignation du juge-commissaire et sa place dans la procédure


A) Cadre légal et critères de désignation


Le juge-commissaire est désigné par le tribunal qui ouvre la procédure collective (tribunal de commerce ou tribunal judiciaire statuant commercialement, selon les cas). Les dispositions centrales relatives à cette désignation figurent aux articles L. 621-4, L. 621-12 et suivants du Code de commerce pour les procédures de sauvegarde et de redressement, et à l’article L. 641-1 pour la liquidation judiciaire.


  1. Le principe de désignation

    • Au moment du jugement d’ouverture de la procédure (qu’il s’agisse d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation), le tribunal désigne un juge-commissaire, lequel aura pour mission de suivre la procédure et d’assurer la protection des intérêts en présence.

    • Le tribunal peut également désigner un juge-commissaire suppléant (pour pallier les cas de congés ou d’empêchement).


  2. Les incompatibilités et la garantie d’impartialité

    • Le juge-commissaire ne peut être choisi parmi les magistrats qui ont déjà connu l’affaire en référé ou en qualité de juge ayant autorisé l’ouverture de la procédure sur un autre fondement (article L. 621-4, alinéa 2).

    • Il ne doit pas non plus présenter des liens d’intérêts, d’ordre familial ou professionnel, avec les dirigeants de l’entreprise ou les créanciers majeurs.

    • Cette séparation vise à garantir l’indépendance et l’objectivité du juge-commissaire, principes fondamentaux rappelés par la jurisprudence et inhérents au droit à un procès équitable (article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme).


  3. Prorogation et remplacement

    • En pratique, la durée de la mission du juge-commissaire est alignée sur la durée de la procédure collective. Lorsque celle-ci se prolonge, la fonction du juge-commissaire est maintenue, sauf décision expresse du tribunal d’en désigner un nouveau.

    • En cas d’empêchement définitif (mutation, fin de fonction, retraite, etc.), le tribunal désigne un autre juge-commissaire.


B) Place et fonctions dans l’architecture procédurale


Le juge-commissaire constitue une autorité juridictionnelle centrale au sein de la procédure, bien distincte du tribunal lui-même, de l’administrateur judiciaire, du mandataire judiciaire, voire du commissaire à l’exécution du plan en cas de sauvegarde ou de redressement.


  1. Coordinateur de la procédure

    • Le juge-commissaire a pour principale mission d’organiser le déroulement de la procédure. Il veille au respect des délais légaux pour la déclaration de créances, l’examen des projets de plan, la vérification du passif, etc.

    • Il joue un rôle pivot entre les parties prenantes : il reçoit les comptes rendus de l’administrateur, examine les contestations de créances portées par le mandataire judiciaire, autorise certaines opérations (ventes d’actifs, poursuites de contrats en cours, etc.).


  2. Autorité de contrôle et d’arbitrage

    • En sa qualité d’organe juridictionnel spécialisé, il statue sur des questions d’importance pratique : admission ou rejet des créances, autorisations de cession d’un élément d’actif, résolution de différends entre créanciers ou entre le débiteur et un cocontractant.

    • Il est investi de pouvoirs d’investigation, sous réserve de respecter les règles du contradictoire. Il peut solliciter des informations, ordonner au débiteur ou aux organes de la procédure de fournir des pièces, etc.


  3. Relation avec le tribunal

    • Le tribunal demeure compétent pour statuer sur l’orientation générale de la procédure (ouverture, prolongation, conversion en liquidation, adoption ou rejet d’un plan de redressement ou de sauvegarde, clôture).

    • Le juge-commissaire, pour sa part, intervient dans toutes les décisions d’administration judiciaire courantes, lesquelles ne justifient pas un retour devant la formation collégiale du tribunal.


L’ensemble de ces éléments définit la place stratégique du juge-commissaire : il est le garant de la discipline procédurale et du respect des droits de chaque acteur, sans pour autant usurper les prérogatives du tribunal.


I.2. Les missions générales du juge-commissaire


A) La surveillance et la vérification du passif


  1. Réception et organisation de la déclaration de créances

    • Une des premières étapes de la procédure collective consiste, pour les créanciers, à déclarer leurs créances dans un délai légal (deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture, prolongé si nécessaire).

    • Le juge-commissaire surveille la transmission de ces déclarations au mandataire judiciaire. Il s’assure du respect du calendrier et peut autoriser, sous conditions, des déclarations tardives.


  2. Vérification des créances et prononcé des admissions ou rejets

    • C’est souvent la mission la plus emblématique du juge-commissaire : statuer sur le sort des créances déclarées. Il est saisi en cas de contestation, soit par le mandataire judiciaire, soit par le débiteur, soit par le créancier lui-même.

    • Après instruction contradictoire, il peut prononcer l’admission totale, partielle ou le rejet de la créance. Les dispositions pertinentes se trouvent aux articles L. 624-1 et suivants du Code de commerce (pour le redressement et la sauvegarde), transposées en liquidation judiciaire par renvoi.

    • Lorsqu’une contestation est sérieuse et déborde de la compétence du juge-commissaire (par exemple, en présence d’une clause attributive de juridiction ou d’une question étrangère à la procédure collective), il se déclare incompétent et invite les parties à saisir la juridiction compétente.


  3. Contrôle des flux de créances

    • Le juge-commissaire peut être amené à apprécier la validité de certains privilèges ou sûretés dont le créancier se prévaut, et donc vérifier si les conditions légales (publicité, inscription) sont remplies.

    • Il peut ordonner des mesures conservatoires ou des expertises afin de clarifier la situation.


B) L’autorisation des actes de gestion et de disposition


  1. Contrats en cours et poursuites d’activité

    • En redressement judiciaire, l’administrateur ou le débiteur (selon que la mission est d’assistance ou de représentation) peut être amené à solliciter du juge-commissaire l’autorisation de poursuivre un contrat en cours, ou au contraire d’y mettre fin si cela s’avère nécessaire pour l’intérêt de la procédure (article L. 622-13 et s.).

    • Le juge-commissaire statue en équilibrant les intérêts : celui du créancier cocontractant (paiement) et celui de l’entreprise (nécessité de la prestation pour la poursuite d’activité ou, à l’inverse, contrainte financière).


  2. Vente d’actifs

    • Lors de la liquidation judiciaire, la vente des biens du débiteur, réalisée par le liquidateur, peut nécessiter l’accord du juge-commissaire. Ce dernier doit notamment s’assurer que les conditions de la cession répondent aux principes de transparence et d’intérêt de la procédure (maximisation de l’actif, protection des salariés, etc.).

    • Selon l’article L. 642-18 du Code de commerce et suivants, il peut autoriser des plans de cession portant sur des éléments isolés ou sur l’ensemble de l’entreprise.


  3. Opérations financières et emprunts

    • Dans certaines procédures de redressement judiciaire, le débiteur peut être autorisé à contracter de nouveaux financements (new money) pour continuer son activité. Le juge-commissaire intervient pour vérifier la pertinence de l’opération et protéger les intérêts déjà existants (articles L. 622-17 et L. 626-1).


Ces missions générales démontrent l’ampleur du rôle du juge-commissaire : loin d’être un simple « vérificateur » de créances, il se prononce aussi sur des questions décisives pour la survie de l’entreprise ou la préservation des droits des créanciers. Il agit ainsi comme un arbitre, dont la fonction est cruciale pour la fluidité et l’efficacité de la procédure collective.



Deuxième partie. Étendue des pouvoirs du juge-commissaire, limites et articulation avec les autres organes


II.1. Les pouvoirs de contrôle et d’arbitrage du juge-commissaire


A) Pouvoir juridictionnel et pouvoir d’investigation


  1. Nature juridictionnelle du juge-commissaire

    • Le juge-commissaire est un organe juridictionnel à part entière. Ses décisions sont des jugements susceptibles de recours (devant la cour d’appel, dans les conditions de droit commun).

    • Sa compétence est toutefois limitée par la loi : il ne tranche que les litiges énumérés dans les textes (contestation de créances, autorisation d’actes de gestion, vérification des créances, etc.).


  2. Pouvoir d’instruction

    • Pour éclairer sa décision, il peut ordonner des mesures d’instruction (expertise, consultation de pièces, audition de tiers). En pratique, ce pouvoir est moins formel que dans un contentieux classique, mais il peut jouer un rôle important dans la recherche d’informations.

    • Les parties (débiteur, créancier, administrateur, liquidateur) sont tenues de coopérer et de fournir les documents demandés.


  3. Décisions rendues

    • Les décisions du juge-commissaire prennent la forme d’ordonnances. Ces décisions doivent être motivées et notifiées.

    • Les personnes qui y ont intérêt (principalement le débiteur et les créanciers concernés) peuvent exercer un recours dans le délai prescrit (en principe dix jours, parfois un mois pour certaines hypothèses, voir articles R. 621-24 et s.).


B) Compétence résiduelle et pouvoirs d’adaptation


  1. Extension de compétence dans l’intérêt de la procédure

    • Le juge-commissaire peut être appelé à statuer sur des matières non expressément prévues par le Code de commerce, lorsque celles-ci sont indissociablement liées à la bonne marche de la procédure. La jurisprudence admet parfois une compétence extensive si la question relève principalement de l’administration de la procédure.

    • Toutefois, la ligne de partage entre ce qui relève de la compétence du juge-commissaire et ce qui doit être renvoyé devant le tribunal ou une autre juridiction reste délicate.

    • Les articles L. 622-7 et L. 624-2 illustrent ce principe, tout en fixant la nécessité de renvoyer à la juridiction compétente dès lors qu’il existe un litige sérieux dépassant le cadre de la procédure collective (par exemple, une contestation qui soulève des questions de droit international privé complexes).


  2. Mesures conservatoires et autorisations d’office

    • Dans certaines circonstances urgentes (risque imminent pour l’entreprise ou pour la sauvegarde de l’actif), le juge-commissaire peut prendre, d’office ou à la demande d’une partie, des mesures conservatoires.

    • Il peut autoriser la conclusion rapide d’un contrat (fourniture indispensable, par exemple) ou la vente urgente de certains stocks périssables.


  3. Adaptation au déroulement de la procédure

    • Le juge-commissaire est régulièrement sollicité pour proroger des délais (déclaration de créances, observation, etc.), décider du passage à une autre phase (redressement -> liquidation) ou encore autoriser l’arrêt de l’activité. Ces interventions démontrent son pouvoir d’adaptation, essentiel pour moduler la procédure en fonction des contingences économiques et des intérêts en présence.


II.2. Limites des pouvoirs du juge-commissaire et articulation avec les autres organes


A) Limites légales et jurisprudentielles


  1. Principes généraux

    • Le juge-commissaire, bien qu’organe juridictionnel, n’est pas compétent pour se prononcer sur la clôture de la procédure, sur la résolution du plan ou encore sur les sanctions applicables aux dirigeants (responsabilité pour insuffisance d’actif, faillite personnelle, interdiction de gérer). Toutes ces questions relèvent du tribunal collégial (articles L. 631-1, L. 651-2, L. 653-1, etc.).

    • Il ne peut pas annuler ou réformer une décision de justice rendue par le tribunal, ni se substituer au juge du fond pour résoudre des questions purement civiles ou commerciales étrangères à la procédure collective (par exemple, un litige successoral ou un divorce impliquant le débiteur).


  2. Jurisprudence sur la notion de « contestation sérieuse »

    • Lorsqu’une difficulté soulève des questions de droit complexes (validité d’une clause, de la compétence judiciaire, d’un contrat international), ou exige un examen approfondi d’éléments de preuve extérieurs à la procédure collective, la jurisprudence considère que le juge-commissaire n’a pas à statuer.

    • Dans ce cas, il se déclare incompétent (article L. 624-2) et invite la partie intéressée à saisir la juridiction matérielle ou territorialement compétente.


  3. Droit d’appel

    • Les décisions du juge-commissaire sont soumises à appel devant la cour d’appel dans un délai généralement fixé à dix jours (articles R. 624-6 et suivants).

    • Ce contrôle limite de facto ses pouvoirs, puisqu’il sait que ses ordonnances peuvent être réformées ou annulées en seconde instance.


B) Collaboration et répartition des rôles avec les autres organes


  1. Le tribunal

    • Le tribunal, en formation collégiale, demeure le pivot pour les décisions majeures : ouverture de la procédure, plan de redressement ou cession, clôture pour insuffisance d’actif, sanction des dirigeants.

    • Le juge-commissaire agit sous le contrôle (indirect) du tribunal, tout en disposant d’une autonomie dans les matières relevant de ses attributions (autorisation des actes de gestion courante, vérification des créances).


  2. L’administrateur judiciaire

    • L’administrateur, lorsqu’il est nommé, gère l’entreprise (mission de représentation) ou assiste le dirigeant (mission d’assistance). Il soumet au juge-commissaire les actes les plus importants qui requièrent une autorisation.

    • Le juge-commissaire doit composer avec les propositions de l’administrateur, veiller à ce qu’elles soient conformes à l’intérêt de la procédure et statuer sur les différends qui pourraient survenir entre l’administrateur et d’autres acteurs.


  3. Le mandataire judiciaire

    • Le mandataire judiciaire représente les créanciers et centralise les déclarations de créance. Il soumet au juge-commissaire les propositions d’admission ou de rejet.

    • Il peut contester la régularité de certaines créances, proposer le relevé de forclusion ou demander la mise en cause d’un tiers (caution, codébiteur). Le juge-commissaire tranche ces questions.


  4. Le débiteur

    • Le débiteur, qu’il soit en sauvegarde ou en redressement, reste légalement titulaire de certains droits : contestation des créances, proposition d’un plan de redressement, etc. Le juge-commissaire peut arbitrer les litiges entre le débiteur et ses créanciers, ou autoriser des actes que le débiteur souhaite accomplir mais que le mandataire judiciaire conteste.


La compréhension mutuelle du rôle de chacun évite les conflits de compétence et favorise une gestion optimale de l’entreprise en difficulté.



Le juge-commissaire joue un rôle déterminant dans les procédures collectives françaises, tant par ses attributions de contrôle que par ses pouvoirs décisionnels. Sa tâche consiste à garantir que la procédure se déroule dans le respect des règles légales, tout en tenant compte des impératifs pratiques liés à la situation de l’entreprise et aux droits des créanciers. Son champ d’intervention est large : vérification et admission des créances, autorisation d’actes de gestion et de disposition, arbitrage en cas de contestation, etc.Toutefois, ses pouvoirs connaissent des limites clairement établies par la loi et la jurisprudence : d’une part, il ne saurait empiéter sur la compétence du tribunal pour les décisions majeures (ouverture, plan, sanctions), d’autre part, il doit renvoyer devant la juridiction compétente les litiges excédant le cadre strict de la procédure collective ou soulevant une contestation sérieuse. Le système français repose ainsi sur un partage rigoureux des responsabilités entre le tribunal, le juge-commissaire et les autres organes de la procédure (administrateur, mandataire, liquidateur).


Sur le plan pratique, il est crucial que les entreprises en difficulté et leurs conseils comprennent pleinement le rôle du juge-commissaire. Son intervention rapide et adaptée peut permettre de résoudre de nombreuses situations délicates (continuation des contrats, élaboration d’un plan de redressement, cession d’actifs dans les meilleures conditions). De même, une bonne anticipation des questions relatives à la déclaration et à la contestation des créances évite bien des retards et conflits inutiles.


Enfin, la connaissance précise des limites de la compétence du juge-commissaire permet à chaque acteur de saisir la juridiction adéquate en temps voulu et de faire valoir ses droits sans retard ni ambiguïté.En définitive, la fonction de juge-commissaire illustre la volonté du législateur d’assurer un équilibre fin entre l’efficacité économique de la procédure collective et la préservation des droits fondamentaux des parties en cause. À travers une pratique cohérente et un dialogue constructif avec l’ensemble des intervenants, le juge-commissaire contribue à maintenir cet équilibre, au bénéfice tant de l’entreprise en difficulté que de ses créanciers et salariés.

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