Réf. : Cass. com., 11 septembre 2024, n° 23-12.695, FS-B
Depuis plusieurs années, la fermeture d’un compte courant en cas de liquidation judiciaire semblait automatique, entraînant l’exigibilité immédiate du solde débiteur et la possibilité de poursuite de la caution. Cette position, consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation, était considérée comme une balise solide pour les établissements bancaires.
Pourtant, un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 11 septembre 2024 jette un pavé dans la mare : la liquidation judiciaire n’entraîne plus la clôture du compte courant. Ce revirement modifie profondément la donne pour les créanciers et les cautions, soulevant diverses interrogations sur la continuation des contrats bancaires en cours.
1. De la clôture automatique du compte courant… à son maintien
Traditionnellement, la Cour de cassation considérait que l’ouverture (ou le prononcé) de la liquidation judiciaire d’une entreprise provoquait la clôture automatique du compte courant. Cette solution présentait un certain confort juridique pour les banques : le solde débiteur devenait immédiatement exigible, permettant de se retourner aussitôt contre la caution si nécessaire.
Or, le Code de commerce a depuis été enrichi, notamment par l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, d’un dispositif protégeant la continuation des contrats en cours (art. L. 641-11-1, I, al. 1er). Bien que ce principe fût déjà connu en matière de sauvegarde ou de redressement judiciaire, son extension à la liquidation judiciaire a mis en évidence une contradiction entre :
La jurisprudence « historique » qui posait la clôture du compte comme conséquence automatique de la liquidation ;
Le nouveau texte législatif imposant le maintien des contrats en cours et interdisant toute résiliation automatique liée à la seule ouverture de la procédure collective.
Le 11 septembre 2024, la Cour de cassation a finalement statué en faveur de ce principe de continuité, abandonnant sa position antérieure. Désormais, le compte courant d’une entreprise placée en liquidation judiciaire n’est plus automatiquement clôturé.
2. Quelles conséquences pratiques pour la banque et la caution ?
2.1. Une poursuite du compte… et de l’ouverture de crédit ?
En théorie, le compte courant se poursuit même en période de liquidation judiciaire. Si ce compte est assorti d’une ouverture de crédit (découvert autorisé, facilité de caisse, etc.), celle-ci continue de s’appliquer tant qu’aucune résiliation n’est prononcée. Le liquidateur (ou l’administrateur s’il y a poursuite d’activité) peut donc, en principe, continuer à faire fonctionner ce compte.
Toutefois, dans la réalité, il apparaît peu probable qu’en l’absence de poursuite réelle de l’activité, le liquidateur accepte de creuser davantage l’endettement de la société via cette ouverture de crédit. Certes, la loi permet de créer des dettes « postérieures » (plus favorables) dès lors qu’elles procèdent de la continuation d’un contrat en cours, mais la prudence reste de mise : l’objectif du liquidateur est avant tout d’éviter d’engager des frais supplémentaires risquant de ne pas être couverts lors de la clôture de la procédure.
2.2. La banque peut rompre son concours en invoquant la « situation irrémédiablement compromise »
Du point de vue des banques, l’enjeu principal réside dans la gestion des risques. Dès lors que le débiteur est en liquidation judiciaire, la situation financière peut être jugée « irrémédiablement compromise ». L’article L. 313-12 du Code monétaire et financier permet, dans ce cas précis, de rompre immédiatement un concours bancaire (ouvert à durée indéterminée ou déterminée) sans respecter le délai de préavis classique de 60 jours.
En pratique, la banque devra mettre en demeure le liquidateur de se prononcer sur la continuité de la convention de compte et, si le liquidateur opte pour la poursuite du contrat, l’établissement bancaire pourra dénoncer l’ouverture de crédit pour éviter de nouveaux impayés, tout en respectant les dispositions protectrices (absence d’abus dans la rupture du concours).
2.3. L’exigibilité du solde débiteur contre la caution
La conséquence la plus notable de ce revirement concerne la poursuite de la caution. Selon une jurisprudence bien établie, la caution ne peut être poursuivie qu’après la clôture effective du compte courant, puisque c’est la détermination du solde débiteur qui fonde le montant réclamé à la caution.
Ancien régime : la liquidation judiciaire emportant clôture automatique du compte, la banque pouvait immédiatement exiger le solde et le réclamer à la caution.
Nouvel état du droit : plus de clôture automatique, donc le solde n’est pas exigible tant qu’aucune résiliation n’est prononcée. La banque doit, d’une part, rompre la convention de compte pour faire « tomber » le solde, et, d’autre part, se conformer au régime des procédures collectives.
Cette subtilité met les banques en garde : elles doivent prendre l’initiative de résilier le compte afin de rendre la créance exigible et ainsi engager la responsabilité de la caution. À défaut, la caution pourra invoquer la non-exigibilité du solde pour échapper aux poursuites.
3. Les voies de recours des cautions et la responsabilité du banquier
Dans l’hypothèse où la banque tarderait à rompre ses engagements ou à clôturer le compte, la caution pourrait s’interroger sur l’opportunité d’agir en responsabilité contre l’établissement prêteur, notamment s’il s’avère que le découvert a été maintenu alors même que la situation de la société était « irrémédiablement compromise ».
Cependant, l’article L. 650-1 du Code de commerce énonce un principe d’irresponsabilité du banquier dispensateur de crédit, sauf en cas de fraude, d’immixtion caractérisée ou si les garanties demandées étaient disproportionnées. Cette disposition, destinée à encourager les banques à maintenir leurs concours aux entreprises en difficulté, instaure une limite assez stricte aux actions en responsabilité.
Pour autant, certaines discussions doctrinales persistent sur la portée exacte de l’article L. 650-1, notamment lorsqu’il s’agit de concours consentis ou poursuivis après l’ouverture de la procédure. Si la lettre du texte ne distingue pas entre avant et après, l’esprit de la loi viserait plutôt les crédits consentis avant l’ouverture. On peut donc prévoir que des débats contentieux continueront d’alimenter la jurisprudence.
Un revirement bienvenu pour les entreprises… mais à manier avec prudence
Ce revirement de la Cour de cassation sur la clôture automatique du compte courant en cas de liquidation judiciaire est souvent perçu comme favorable aux entreprises en difficulté, puisqu’il leur permet de conserver la possibilité de bénéficier d’une ouverture de crédit en liquidation. Toutefois, ce maintien du compte ne signifie pas, pour autant, qu’il sera systématiquement utilisé ou même bénéfique pour l’entreprise, compte tenu du faible intérêt de prolonger l’endettement lorsque l’activité n’est pas poursuivie ou ne peut pas être redressée.
Pour les banques, c’est un signal clair : il est désormais impératif de se montrer proactif dans la gestion des procédures collectives, en prenant soin de dénoncer les concours et de clôturer les comptes pour sécuriser la créance avant de poursuivre la caution. À défaut, le risque est de se retrouver dans une situation où le solde n’est pas exigible et la caution intouchable.
Conseils pratiques et perspectives pour l’avenir
Pour les liquidateurs
Vérifier en amont si la poursuite du compte courant présente un réel intérêt pour la procédure (poursuite d’activité autorisée par le tribunal, mesures transitoires, etc.).
En cas de poursuite du contrat, assumer la responsabilité de dettes postérieures qui seraient susceptibles de bénéficier d’un régime favorable en cas de non-paiement.
Pour les banques
Établir une procédure interne stricte de suivi des dossiers en liquidation judiciaire afin de rompre immédiatement les concours en cas de situation irrémédiablement compromise (article L. 313-12, alinéa 2).
Dénoncer (résilier) le compte courant pour rendre le solde exigible et préserver l’éventuel recours contre la caution.
Rester attentif à la proportionnalité des garanties et à l’absence d’immixtion dans la gestion du débiteur, pour éviter toute mise en cause sur le terrain de la responsabilité.
Pour les cautions
Surveiller si la banque a bien mis fin à la convention de compte courant et, le cas échéant, examiner la date de clôture du compte qui conditionne l’exigibilité de la créance.
En cas de poursuite abusive d’un crédit par la banque et d’aggravation du passif, la caution peut, dans certaines hypothèses, envisager une action en responsabilité. Toutefois, l’article L. 650-1 du Code de commerce pose un cadre très restrictif, limitant drastiquement les succès contentieux sur ce terrain.
Évolutions possibles
De nouvelles affaires viendront nécessairement préciser la portée de ce revirement. Il convient de suivre de près la jurisprudence à venir, notamment pour clarifier l’application de l’article L. 650-1 aux concours octroyés ou poursuivis après l’ouverture de la liquidation.
Le nouvel arrêt du 11 septembre 2024 signe la fin d’une longue période de certitudes pour les créanciers, et clarifie la situation en confirmant que la liquidation judiciaire ne clôt plus automatiquement le compte courant. Ce changement législatif et jurisprudentiel, qui réconcilie la lettre du Code de commerce et la pratique bancaire, renforce l’idée d’un régime uniforme de la poursuite des contrats en cours.
Toutefois, pour les banques, l’enjeu demeure : il est plus que jamais nécessaire de dénoncer rapidement un concours pour pouvoir engager la caution, sous peine d’être enfermées dans une convention de compte encore valide et de voir leur créance rester inopposable à la caution. Pour les cautions et les entreprises, ce revirement est un soulagement théorique, mais dans la pratique, l’équilibre entre risques et opportunités pour la poursuite du compte dépendra du contexte concret de chaque procédure.
En définitive, ce nouvel élan rappelle combien il est essentiel d’adopter une gestion rigoureuse des procédures collectives et de faire preuve d’une vigilance accrue dans le suivi des comptes bancaires, afin de sécuriser autant les droits des créanciers que la situation des cautions.
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